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à occuper. Les dernières élections ont envoyé à la Chambre un groupe compact de socialistes, dans lequel on compte deux ou trois hommes de talent, ce qui a suffi pour détourner et retenir l’attention de ce côté. En même temps, le parti radical a beaucoup souffert. Lorsque la fumée du combat a été tombée et qu’on a cherché à se reconnaître en se comptant, on s’est aperçu que les radicaux proprement dits, après avoir perdu leurs principaux chefs, ne formaient plus qu’un appoint dans la Chambre nouvelle, et on s’est demandé de quel côté il se porterait. Serait-ce du côté du centre pour former une grande majorité républicaine nécessairement modérée ? Serait-ce du côté de l’extrême gauche pour s’allier aux socialistes et former avec eux un groupe actif, remuant, dangereux, avec lequel il faudrait compter ? Les radicaux ont hésité. Leur chef aujourd’hui reconnu, M. Léon Bourgeois, a montré des velléités tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Il a essayé à diverses reprises de faire un ministère de concentration où entreraient un certain nombre de modérés ; mais il a voulu leur imposer des conditions inacceptables, et ces combinaisons ont avorté. Il s’est vu, alors, obligé de se tourner du côté des socialistes et de pactiser avec eux. Les socialistes, à eux seuls, pouvaient faire de l’agitation dans les esprits, mais ils étaient beaucoup trop éloignés du gouvernement pour essayer même d’y parvenir ; en revanche, ils avaient le moyen d’y pousser les radicaux et de les y soutenir, et c’est ce qu’ils ont fait. Radicaux et socialistes ont très bien compris qu’ils ne pouvaient rien les uns sans les autres. De là est sorti le ministère Bourgeois-Doumer, avec son programme de réformes fiscales mal conçues sans doute, mal ordonnées, mal digérées, mais très propres à faire de l’effet et à troubler les masses populaires en faisant reluire à leurs yeux les mirages les plus séduisans. Ces réformes peuvent se réduire à un mot qui a pénétré jusqu’au fond des campagnes : c’est le châtelain qui paiera pour tout le monde. Elles étaient une première adaptation fiscale des principes socialistes, et elles bénéficiaient de l’autorité qui appartient toujours aux propositions du gouvernement. Dans nos derniers villages, le même projet d’impôt sur le revenu qui était passé inaperçu lorsqu’il était présenté par MM. Doumer et Cavaignac simples députés, s’est emparé des esprits et est devenu le sujet de toutes les conversations dès qu’il a été présenté par les mêmes hommes devenus ministres. Le prestige du gouvernement, quelque diminué qu’il soit, est encore une force. Sur quoi pourrait juger le paysan illettré, sinon sur l’autorité des hommes, et sur quoi pourrait-il juger les hommes, sinon sur l’autorité qui s’attache à leurs fonctions ? Comment n’aurait-il pas été frappé de voir MM. Bourgeois