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marchandises que transportassent les caravanes sahariennes était le captif, et nous avons supprimé la traite. Au surplus la région de transit entre le Soudan et la Berbérie est détenue par le Touareg. Que ferons-nous du Touareg ?

Ces hommes voilés, que les Tombouctiens qualifient « de loups, d’hyènes, d’abandonnés de Dieu », et dont ils disent « que leur parole est semblable à l’eau qui tombe dans le sable, qu’on ne la retrouve jamais », se regardent comme les propriétaires légitimes du Sahara ; ils perçoivent des redevances ou coutumes sur tout le commerce qui s’y fait, sur les bêtes et les gens qu’ils y voient passer, et ils s’arrogent aussi le droit de traiter l’étranger en ennemi, de s’approprier son bien ou de lui couper la gorge. Réussirons-nous, comme voudrait le croire M. Rébillet, à les gagner, à leur persuader de prendre nos caravanes sous leur protection ou, comme s’en flatte M. Dubois, de devenir « les amis du chemin de fer, de braves garde-voie ? » Ils ont bu plus d’une fois notre sang ; faut-il penser que qui a bu boira, ou parviendrons-nous à déchiffrer ces âmes mystérieuses et à les apprivoiser ? En un mot le Touareg est-il une sorte de loup qui se laisse domestiquer ? Cette question ne sera résolue ni demain ni après-demain.

Ce qui paraît évident, c’est qu’en changeant de maîtres, les Tombouctiens ont fait un marché dont ils n’auront pas à se repentir, qu’ils ont raison de recrépir leurs façades, de mettre à l’air leurs grands turbans, de retirer des coffres où elles dormaient leurs belles robes brodées. Ce qu’on peut affirmer aussi, c’est que M. Dubois a écrit un livre non seulement très agréable et très instructif, mais très réconfortant. Un explorateur qui en parlait ces jours-ci dans les termes les plus élogieux, ajoutait que le seul défaut de l’auteur était un excès d’optimisme, mais que pour sa part il lui en faisait un mérite. Nous vivons dans un temps où les découragés, les mélancoliques abondent, où des trois vertus théologales l’espérance est la plus rare ; on a du plaisir à rencontrer un de ces sanguins qui ont le courage et le don d’espérer.


G. VALBERT.