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étaient l’objet, ressemblaient à des épisodes d’un plan général de compression. Guillaume II lui-même, par un brusque et sage retour, fit avorter le projet de loi ; les socialistes furent laissés relativement tranquilles, tout comme les universitaires ; et c’est contre le mouvement social-évangélique que la rigueur des pouvoirs publics se concentra tout entière. Elle fut naturellement implacable, comme l’est toute victoire marchandée, limitée, et dont la limitation même produit sur le vainqueur l’impression cuisante d’une défaite à venger. Quel raccourci d’histoire ! Au palais impérial, en janvier, l’air était saturé de défiances, de troubles, d’inquiétudes ; des prophètes de malheur assiégeaient les oreilles du souverain ; on avait répété à satiété que la retraite de M. Casimir-Périer hâterait l’avènement du socialisme en France ; de mystérieux incidens, comme cette sombre et malpropre histoire de lettres anonymes où l’on essaya de compromettre le chambellan Kotze, semblaient servir à souhait les partisans d’une politique de violences en exaspérant bien légitimement l’humeur impériale, et Guillaume II s’armait pour une défensive militante et pour une sévère réaction. De cet attirail de guerre, au cours de l’année, il écarta les engins, bribe par bribe. À la fin de décembre, un trait lui restait encore, et par son ordre ce trait fut employé : le conseil suprême évangélique eut mission de le lancer, pour arrêter, au sein du protestantisme, le mouvement social.

Exécuteur fidèle, et j’oserais dire impartial, des volontés du maître, le conseil obéit ; il rendit le rescrit du 16 décembre 1895. Entre ce rescrit et celui de 1890 les divergences étaient éclatantes. Il y en avait une d’avouée : tandis qu’en 1890 on avait lancé les pasteurs dans les réunions socialistes, on les leur défendait en 1895. Mais le contexte entier, plus encore que ce contre-ordre formel, décelait une inspiration absolument inverse de celle qui soufflait en 1890. On se plaignait, au début du document, que l’activité sociale, telle que la pratiquaient certains pasteurs, portât préjudice, tout à la fois, à leur recueillement intérieur, à la bonne gestion de leur paroisse, à la saine conception du christianisme, enfin, qui ne permet pas d’attacher trop d’importance aux biens de la terre. L’invitation si précise qui les avait poussés, en 1890, à soutenir les revendications légitimes des travailleurs, n’était point répétée en 1895 : on leur signifiait au contraire d’enseigner aux pauvres que « le bien-être et le bonheur résident dans l’acceptation confiante de l’ordre voulu par Dieu,