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par la contemplation de l’autre vie, ce n’est point la générosité qui fait défaut aux piétistes, mais c’est, à proprement parler, une certaine intelligence, faute de laquelle ces termes expressifs : « courant chrétien, mouvement évangélique, action sociale », sont pour eux lettre morte ; dans les Églises protestantes, ils ont multiplié les chapelles, qui sans doute permettent à Dieu d’avoir ses aises, mais qui l’empêchent de circuler ; chacune de leurs âmes est un foyer qui brûle, mais qui ne rayonne pas ; ils ont la morgue du divin, et ils en ont la jalousie ; entre l’esprit de cette aristocratie religieuse, que révèlent clairement certaines pages de M. Kübel, et l’esprit du mouvement évangélique-social, il y a incompatibilité. Fort dévot au pouvoir civil, le parti théologique du « juste milieu », dûment représenté par M. Beyschlag, prise assez peu les tentatives sociales des églises ; et le libéralisme « incroyant » partage cette malveillance, dont on eut au Congrès de Gotha, en 1890, des témoignages nullement équivoques. On observe, en revanche, je ne sais quelle complicité, propice à ces tentatives, entre les membres de certaines fractions très croyantes et les représentans de la théologie « moderne ». Que le monde nous donne le spectacle de l’Incarnation véritable par la réalisation du royaume de Dieu ou même, si l’on veut, de l’humanité de Dieu : voilà le rêve de Richard Rothe et de Ritschl ; il implique, pratiquement, que le christianisme régisse tous les rapports sociaux ; et si les orthodoxes comme M. Stoecker répugnent à cette argumentation passablement « moderne », du moins acceptent-ils une conclusion qui leur fait écho. Ainsi convergent au succès du mouvement évangélique-social la souplesse ritschlienne, aspirant à une certaine immanence du royaume de Dieu, et la rigueur orthodoxe, aspirant à la maîtrise du dogme sur les masses : elles s’accordent entre elles pour faire du pasteur, non point seulement un fonctionnaire céleste égaré parmi nos misères, mais un fonctionnaire social chargé de les soigner et de les guérir toutes. Moyennant certaines abstractions, en apparence irréfutables, les adversaires du mouvement évangélique-social objectent que seules les misères morales regardent le pasteur et que les misères matérielles ne sont point de son ressort : ces abstractions sont réfutées, en fait, par la réalité même de la vie. Morales ou matérielles, les misères s’engendrent entre elles ; si les économistes ne nous laissent pas ignorer que l’indigence est fille du vice, on peut dire, en beaucoup d’occasions, que l’indigence crée le vice ; et les fervens adeptes du mouvement évangélique-social, en prétendant