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L’élection du Père Lacordaire eût été plus pure sans cet alliage grossier et vulgaire qui reste encore au fond des eaux après la tempête, comme la vase du gouvernement à demi parlementaire de juillet 1830. Lacordaire était digne de n’être élu que pour son éloquence. Dans la situation actuelle, il est élu, c’est-à-dire qu’il est dans la situation d’un enfant ondoyé, et ne sera baptisé académicien que le jour où il aura prononcé son discours en séance publique. Ce jour-là est loin d’être déterminé ; il y faut bien des conditions. D’abord : que son discours soit écrit, puis qu’il le communique au directeur qui lui répondra (M. Guizot) ; puis, que ce second discours soit écrit et communiqué à une commission d’académiciens tirée au sort et préposée à l’examen, et qui doit, au sortir de la lecture, attester à l’Académie française que les deux discours ne renferment rien qui soit contraire à la morale ou hostile au gouvernement. Tout cela prend quelquefois, comme ce fut pour moi, neuf mois : ce fut le terme de la gestation du discours de Molé, qu’un écolier de quatrième aurait mieux écrit en une matinée. Cette coutume d’empêcher de siéger jusqu’à la vaine cérémonie publique est particulière à l’Académie française seule, dans les cinq académies de l’Institut. Un savant comme Cuvier ou Laplace est reçu, prend sa place et sa part aux travaux. Cela vaut mieux, car il est arrivé que dans cette année perdue un membre est mort avant d’avoir pu siéger.

Je ne sais donc pas quand cet innocent spectacle gratuit sera donné aux curieuses roses et blanches comme vous, qui brûlent du désir de voir un moine blanc et noir.

Rien de curieux pour moi comme le contraste de ma vie et de l’idée que vous vous en faites. La niaiserie appelée carnaval n’existe pas pour moi. Je suis plus solitaire que bien des moines. Je ne sors que le moins possible dans le jour, et je passe mes soirées à faire des lectures à ma pauvre bonne Lydia dont la vue est sérieusement menacée et que je cherche à consoler de la privation des livres anglais qui lui étaient chers. Je refuse tous les dîners, que j’ai en horreur, et mes amis les plus intimes n’obtiendraient jamais de m’y traîner une seule fois. J’éprouve le sentiment craintif d’une mère qui serait priée de quitter le berceau de son enfant malade. Je donne des distractions et je n’en ai pas, ni n’en veux chercher, si ce n’est dans le travail de mes nuits, qui sont mes refuges et mes forteresses.

Je voudrais savoir quelle amie est en ce moment près de vous, chère Alexandrine, ou quelle parente vous rend quelque