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Tel fut le combat naval d’Iquique, qui, moralement du moins, rendit le Chili maître de ces rivages. Quand, six mois plus tard, la victoire de Dolorès lui soumit tout le désert de Tarapaca, elle consacra seulement le double triomphe de Prat et de Condell. Les Chiliens avaient bien gagné leur Iquique. Mais en vérité Arturo Prat était digne de sombrer pour une plus noble cause. Ce n’est pas seulement son héroïsme qui fait le héros, c’est encore l’idée qu’il incarne. Le Léonidas de ces Thermopyles marines couvrit de son désintéressement la cupidité de cette guerre fratricide. Sa mort ennoblit une rade promise aux trafiquans anglais, et son souvenir plane si haut qu’il ne craint aucune éclaboussure. Ce n’est pas sa faute si la patrie lui demanda son sang pour payer des officines de salpêtre ! Et quand, las du spectacle que nous offre l’Iquique moderne, ce camp d’avarice, de débauches, d’instincts débridés et de vulgaires passions, on reporte ses yeux vers la salubrité de l’Océan, il est bon de se rappeler qu’à dix brasses de tant de vils intérêts un jeune homme est mort, qui eût été chanté par les vierges de Lacédémone.

Aussitôt que le gouvernement chilien eut pris possession des terrains salitraires, il s’occupa de trier les titres de propriété qui circulaient et de déjouer les ruses des falsificateurs. La tâche présentait de sérieuses difficultés, car les certificats que le Pérou avait distribués à ses créanciers, avaient été imités adroitement, et des propriétaires surgissaient de toute part. Néanmoins on vint à bout de l’entreprise. Le Chili reconnut les droits de quiconque lui exhibait des bons en règle, et se réserva de vendre plus tard, comme biens nationaux, les cantons neufs qu’évaluerait une commission d’experts.

Ce fut alors que les Anglais sautèrent sur cette proie. Ils ont le mérite de flairer les bons coups. Ils se décident vite, exécutent plus vite encore. L’éclair de leur résolution est immédiatement suivi du roulement de leurs capitaux. Les Chiliens, fatigués et grisés de leur conquête, du reste plus industrieux qu’industriels, ne sentirent pas que la vassalité apparente des financiers anglais établis sur leur territoire deviendrait contre eux une sorte de suzeraineté. Ils avaient une belle occasion de continuer en grand ce qu’ils avaient commencé à Antofogasta. De puissantes compagnies pouvaient s’organiser, qui, en même temps qu’elles eussent approvisionné le fisc, se fussent enrichies elles-mêmes. L’énorme bénéfice des salpêtres fût demeuré dans le pays. Ils commirent la même faute que les Boliviens quand ceux-ci leur avaient concédé les salpêtrières d’Atacama. Un seul homme politique s’en avisa : ce fut Balinaceda, qui vint trop tard. Dans un discours prononcé