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commission chargée d’en réglementer la vente. Mais la vénalité de cette commission, ses incertitudes, ses atermoiemens, ses maladresses mettaient en péril la nouvelle industrie dont le Pérou espérait sa renaissance.

Et pendant ce temps, une compagnie chilienne, qui s’était formée à Valparaiso et installée à Antofogasta, exploitait des salpêtrières, que le gouvernement bolivien lui avait cédées, et menaçait Iquique d’une terrible concurrence. Sous la condition formelle que la Bolivie n’entraverait point leur commerce, les Chiliens avaient renoncé aux droits qu’ils se prétendaient sur le désert d’Atacama. La vérité est qu’on n’a jamais su où se bornait leur territoire. Au lendemain de la conquête de leur indépendance, les républiques américaines établirent leurs frontières, d’une manière aussi vague que théorique, d’après le principe de l’uti possidetis de 1810, qui peut exercer durant des siècles l’ingéniosité des jurisconsultes.

Les Chiliens avaient pris goût au salpêtre : leurs mines et leurs finances commençaient à s’appauvrir. Ils humèrent dans la brise la richesse future d’Iquique et réfléchirent. Les Boliviens, eux, peuple de révolutionnaires et de fainéans, se repentaient d’avoir accueilli leurs voisins et s’aigrissaient à la vue des beaux sacs gonflés de salitre, qui leur passaient sous le nez et dont ils ne prélevaient qu’un ridicule impôt. Tous, Chiliens, Boliviens et Péruviens se détestaient comme peuvent se haïr des frères. Mais ils se traitaient diplomatiquement d’excellentissimes républiques. Le Pérou se dit : « Si je persuadais à la Bolivie de jeter ses Chiliens à la mer, je délivrerais mon commerce de dangereux rivaux. » La Bolivie murmurait : « Si je m’alliais au Pérou, l’argent de mes salpêtres me reviendrait tout entier. » Et le Chili pensait : « Si je mettais la main sur Iquique, où ces Péruviens gâchent le salitre, je me préparerais un demi-siècle d’abondance et de far niente. » Mais, en ce temps-là, le Chili n’avait pas d’Allemands à sa tête et ne se croyait pas invincible. L’ancien prestige du Pérou l’éblouissait encore et le panache des innombrables colonels de la Bolivie l’impressionnait un peu. Il se tint coi et attendit les événemens.

Liés par un traité secret, les Boliviens et les Péruviens firent les matamores, et, tout en accablant de prévenances leurs voisins, dont ils enviaient la bonne harmonie et les progrès, ils complotaient leur ruine. Un matin, la compagnie d’Antofogasta se réveilla sous la menace d’un décret de confiscation. Ses litres de propriété étaient anéantis. Le lendemain, deux navires de guerre chiliens débarquaient cinq cents hommes sur le territoire