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veut reconquérir ses antiques possessions, mais il doit céder à une loi supérieure et rendre aux hommes ce qu’il leur reprend dans un beau mouvement de colère. Savez-vous comment il se venge ? Il charrie du sable, élève des dunes, et les exhausse pour entraver le développement des villes. Entre Cavancha et les falaises qui ferment la baie, une énorme dune, dont l’existence date à peine de cinq ans, grandit de mois en mois et menace d’atteindre la hauteur des montagnes.

Mais rentrons à Iquique, et de la place dirigeons-nous vers la sierra. Ce sont les quartiers les plus commerçans de la ville et qui la marquent d’un caractère de factorerie anglaise. Magasins de nouveautés, bazars, épiceries, ameublemens, modes et confections, vins et liqueurs, objets de luxe, tout s’y vend dans de vastes échoppes dont l’apparence ne répond pas toujours au prix exorbitant de la marchandise. Vous traversez de nouvelles places agrandies par leur solitude. Vous suivez des rues parallèles qui se prolongent indéfiniment. Leurs trottoirs sont quelquefois pavés de cailloux pointus, mais le plus souvent vous marchez dans le sable et dans des nuages de poussière. Et n’espérez aucune fraîcheur de ce ciel tropical d’une pâleur incandescente et qui n’est bleu que le soir. Ne comptez pas non plus sur l’ondée que parfois une nuée grise semble vous promettre. Il ne pleut jamais. Vers six heures du matin, on arrose les rues : les seaux qu’on y verse y font une boue gluante, mais à huit heures l’eau s’est évaporée et la vie sèche recommence.

On est irrésistiblement attiré par l’embrun des vagues et l’on s’oriente du côté du port. Au lieu de repasser devant l’Intendance, nous pouvons obliquer à droite, jeter un coup d’œil sur les hangars de Inglish Lomax, où des milliers de sacs de salpêtre sont consignés et attendent leur embarquement. De petits môles en bois, dont le plus grand appartient à la compagnie du chemin de fer, s’allongent au milieu des flots. La gare est proche, et, si vous considérez les hautes montagnes dont le rideau barre l’horizon, vous distinguerez à mi-côte une mince ligne foncée qui les coupe, monte d’une pente presque insensible et finalement disparaît à leur tournant vers la mer. Cette ligne vous représente la voie ferrée. Rien de plus étrange que l’arrivée d’un train. Une miniature de locomotive, qui sème des virgules sombres, suivie de wagons minuscules, dévale comme entre ciel et terre. Aucun parapet ne la garantit du précipice. On a peine à croire que des existences humaines soient confiées à ce noir invertébré dont les anneaux ondulent légèrement sur un sentier de mules.

Plus loin, devant nous et jusqu’à l’extrémité de la baie,