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mystères, a écrit Malebranche, est une preuve de leur vérité. » Inversement, quelle qu’en soit la valeur morale, et quand on la supposerait très supérieure à celle d’une religion donnée, tout corps de doctrine qui se prétend accessible à la raison n’est et ne peut être qu’une philosophie. On parle encore quelquefois d’une religion « naturelle », et déjà, pour ma part, je ne sais ce que c’est que ce produit hybride du besoin qu’il semble qu’on éprouve d’avoir une doctrine morale, et de la peur qu’on témoigne d’accepter « l’irrationnel » qui en est le fondement nécessaire. Mais on verrait bien mieux encore la contradiction si l’on parlait d’une « religion rationnelle ». Et peut-être qu’enfin elle éclaterait à tous les yeux si nous l’osions nommer, du seul nom qui lui convienne, une « religion laïque ». Il est clair, en effet, qu’il ne saurait y avoir de « religion laïque » ; et l’illégitimité de l’expression deviendrait le signe ou la preuve de l’illégitimité de la conception qu’elle enveloppe.


V

Où nous mènent cependant ces considérations ? et à ce propos n’ai-je pas omis de noter que M. Balfour a voulu que son livre sur les Bases de la Croyance servît à ses lecteurs d’Introduction à la théologie ? Or, Théologie, en anglais, et surtout dans la pensée de M. Balfour, c’est Religion ; et Introduction, pour lui, c’est acheminement, Manuductio, comme disaient les anciens. Il a donc voulu conduire ses lecteurs jusqu’au seuil du temple. Mais ceux qui, comme nous, ne sauraient le suivre jusque-là, — et qui sans doute sont tenus de le déclarer loyalement, — s’ils ne tirent pas de son livre tout le profit qu’il aurait souhaité, ne l’auront pas lu cependant sans utilité, ni sans une utilité plus qu’intellectuelle, pour ainsi parler, et véritablement morale.

Car ils y auront vu, premièrement, que, si la position du « problème religieux » a changé de nos jours, c’est que le problème a lui-même changé dans son fond. En fait, il n’est plus question de savoir aujourd’hui comment ni si jamais on réconciliera la science et la religion, la raison et la foi, le surnaturel et la conception naturaliste du monde ! Que les théologiens se donnent donc infiniment de peine pour établir la conformité des « résultats de la science » avec le « récit de la Genèse », c’est leur affaire, et nous n’avons pas à les en détourner ; nous les lirons même avec intérêt. Pareillement, — ou inversement, — que les libres penseurs s’évertuent à contester les « miracles de l’Évangile » au nom de la stabilité des « lois de la nature », nous le voulons bien ; et nous