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travaillera en 1610 chez un maître de Seine-et-Oise ; il sera hébergé, logé et recevra 429 francs par an, soit 1 fr. 71 par jour ouvrable dans lequel il devra faire 6 mètres de toile commune. Ce n’était pas une mauvaise spéculation pour le maître. La façon de la toile d’étoupe pouvait être évaluée à cette époque à 62 centimes le mètre ; le travail de son compagnon représentait une valeur de 3 fr. 72 ; il ne lui coûtait en espèces que 1 fr. 71, et la différence de 2 francs était loin d’être absorbée par les frais de nourriture. On stipulait en outre qu’au-dessus de 6 mètres par jour, si le tisserand en faisait davantage, les deux tiers lui appartiendraient, le troisième tiers restant au patron. Il s’agit là d’un ouvrier très capable ; plus tard d’autres tisserands n’ont que 1 fr. 20 et 90 centimes par jour. A Aumale (Seine-Inférieure), le peigneur de laine se contentait de 86 centimes, exactement le salaire des fileurs en Catalogne.

La moyenne des ouvriers de métier, non nourris, était de 2 fr. 20 au moment de la Révolution ; elle est aujourd’hui de 2 fr. 55 dans la grande industrie, de 3 fr. 20 dans la petite et se trouve supérieure à la moyenne du salaire des femmes de près de moitié dans la petite industrie, de plus de moitié dans la grande. Les ouvrières des manufactures gagnent actuellement en général 1 tr. 72 ; colles des métiers domestiques 1 fr. 64 ; la différence est donc plus grande entre les ouvriers des deux sexes qu’entre les journaliers mâles et femelles. Cela peut tenir à ce que les bras des femmes sont plus appréciés ou plus rares dans les campagnes ; à ce que le sexe faible est cantonné dans un assez petit nombre de professions industrielles, que par suite ces professions sont encombrées et que leur rémunération baisse.

On demande à la législation actuelle de chercher à restreindre le travail féminin. N’est-ce pas une tendance très fâcheuse et qui nuira beaucoup à ceux qu’elle prétend servir ? Le contraire serait plutôt profitable aux ménages. L’accession des femmes à des métiers plus nombreux aurait pour conséquence le relèvement de leurs salaires dans les emplois qu’elles occupent déjà. Or toute augmentation du salaire des femmes favorise la morale publique, en encourageant le mariage ; tandis que plus la disproportion sera grande entre le gain de l’ouvrière et celui de l’ouvrier, moins il sera avantageux à l’homme de se marier, puisque les charges de la communauté seront supportées presque entièrement par lui seul.

La situation présente n’est d’ailleurs pas nouvelle. Le peu de différence qui existe aujourd’hui entre la rétribution de l’ouvrière agricole (1 fr. 50) et celle de l’ouvrière de métier (1 fr. 68), — c’est-à-dire 12 pour 100 de plus, — pendant que l’ouvrier de