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Il est au XIXe siècle des domestiques excellens, fidèles et même héroïques, puisqu’on en récompense tous les ans qui servent, pour l’amour de Dieu, des maîtres tombés dans le malheur. Aux admirateurs systématiques du passé, je recommande la lecture des plaintes adressées en 1579 par les bourgeois d’Alsace à leur gracieux soigneur : « De nos jours, disent-ils, les domestiques poussent si loin leur esprit d’indépendance et d’insolence, qu’ils refusent d’obéir non seulement à leurs maîtres, mais à l’autorité publique. » Et ce sont d’aigres jérémiades sur leurs prétentions intolérables pour les gages, sur la paresse, les débauches des valets et des servantes auxquelles on ne peut mettre un frein.

Le Ménagier de Paris, au XIVe siècle, se plaint amèrement des serviteurs et de l’impossibilité où l’on est, sous Charles V, d’en trouver de bons. Et au début du XVIIe siècle, Olivier de Serres déplore l’arrogance des domestiques des champs, « habitués en tous vices et désordres. J’estime, dit-il, que le plus fâcheux de la rustication est de se faire bien servir, sans laquelle difficulté la culture serait la plus plaisante chose du monde, si on pouvait recouvrer des gens propres et affectionnés comme il appartient. » Aux domestiques de haute volée, il y avait encore plus à redire que pour les rustauds valets de la ferme. La « livrée » des villes, celle de Paris notamment, était une des pires espèces du monde ; la troupe des filous et des coupeurs de bourse se recrutait journellement, — les rapports de police sont unanimes aie constater, — parmi ces beaux laquais galonnés, si prompts à dégainer dans les carrefours en l’honneur de leurs maîtres.

L’inconstance de ceux que notre siècle appelle les « gens de maison », leur facilité à changer de places, amenait les bourgeois, il y a cent et cent cinquante ans, à faire avec eux des baux comme avec les fermiers. Il en est qui « s’accueillent », — c’est le terme consacré dans l’Ouest, — pour deux ans, avec promesse de ne pas demander d’augmentation. Aux yeux de beaucoup la domesticité n’est qu’un état de transition : l’un s’enrôle contre les Impériaux, l’autre part dans un vaisseau contre les Turcs. Il n’est pas rare de voir le maître, en les engageant, leur promettre, par contrat verbal ou écrit, de leur payer l’apprentissage de quelque métier. S’il ne l’a pas promis il le fait quelquefois par charité à sa mort. Cet apprentissage est une libération. L’ouvrier d’état était en effet plus heureux que le domestique. A l’égard du simple journalier, la situation qui nous est apparue, dans la période 1200 à 1600, s’est un peu modifiée dans les temps modernes. Manœuvre à la journée, serviteur à l’année, ont vu tous deux leur salaire diminuer de moitié environ, depuis le commencement du XVIe siècle.