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partage. De là procès ; après quatre siècles et demi de vie commune, le changement des conditions économiques provoque le divorce. Le litige est coûteux, les relations aigres, naturellement, comme entre gens qui s’envoient du papier timbré. En 1791, en 1793, des mémoires sont encore produits par les consuls contre les seigneurs ; les juges ont changé, la France se renouvelle, le sang coule, ces obstinés plaident toujours. Il y avait soixante ans que le procès durait.

Autre exemple en Saintonge, qui nous initie à ces revendications contradictoires : les habitans de la châtellenie de Mortagne sont, par une transaction de 1314, en possession de droits étendus dans les bois de ce domaine. En 1761 le prince de Lambesc, seigneur de Mortagne, voulut procéder à un cantonnement. Les manans s’y opposèrent avec la dernière énergie, parce qu’avec l’accroissement de la population la part de chaque famille, dans le morceau de forêt qu’on leur eût concédé, eût diminué sans cesse ; tandis qu’avec l’usage illimité c’était au domaine, c’est-à-dire au nu-propriétaire, qu’incombait le soin de fournir aux nouvelles consommations. Ils firent valoir que l’ordonnance des eaux et forêts de Colbert n’accordait au seigneur le droit de partage, — de triage, — que lorsque la concession du terrain était gratuite, sans aucune redevance, et lorsque les deux tiers suffisaient pour l’usage des paroisses, — preuve que ces deux tiers ne suffisaient pas toujours et que par conséquent le seigneur n’avait pas même un tiers. De plus « si les habitans paient quelque reconnaissance en argent, corvées ou autre, la concession, disait l’ordonnance, passera pour onéreuse et empêchera toute distraction au profit des seigneurs. » Ce furent ces clauses qui maintinrent beaucoup d’usages jusqu’à la Révolution. Or les vilains de Mortagne payaient 2 sous par an. Cependant le seigneur, après des « procédures très considérables » de ses gens d’affaires, « toujours enclins, disaient les vassaux, à persécuter le tenancier », faisait valoir que les usagers « commettaient des dégradations énormes, que leurs bestiaux ont rongé les taillis, transformés en broussailles ; que, par suite de leurs délits, les arbres sont devenus rares, partant chers, qu’enfin lui-même, quoique propriétaire, ne pouvait retirer aucun profit de ses forêts. »

A quoi les habitans ripostaient « qu’ils avaient toujours exercé librement leurs droits d’usage et pacage, qu’ils connaissaient parfaitement que l’intention de Monseigneur le Prince était d’accroître le revenu de sa terre, que, secondant cette intention, ils demandaient qu’on fît entre eux le partage » de ce territoire et offraient de payer 45 centimes par hectare de rente