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Je me suis confessé et j’ai reçu l’absolution ; plus tard je communierai. Je veux que l’on sache, que le bon peuple de Turin sache que je meurs en chrétien. »

Exactement renseigné, heure par heure, le roi s’acquitta du devoir que tout souverain remplit envers un premier ministre mourant à son service, quand la science a dit le dernier mot. Il arriva au palais Cavour sans se faire annoncer ; il s’approcha du malade et lui fit entendre quelques paroles affectueuses. Le comte le reconnut : « Ah ! sire, lui répondit-il d’une voix éteinte, j’ai bien des choses à vous dire, mais je suis trop souffrant. » Fort émus l’un et l’autre, les deux interlocuteurs, qui avaient si longtemps et si activement conspiré ensemble, ne purent plus échanger, à cette heure dernière, qu’une longue pression de main et des regards attendris.

Les symptômes d’une fin imminente se multipliant, on avertit le Père Jacques ; en le revoyant, Cavour lui prit la main et lui dit : « Mon Père, mon Père, l’Eglise libre dans l’Etat libre. » Ce furent ses dernières paroles, assure-t-on. S’il les a réellement articulées, il faut penser que la haute conception qu’il s’était faite de la liberté le dominait encore pendant qu’il agonisait ; son esprit se serait éteint sans s’en détourner même au moment de paraître devant l’Eternel. Comme il l’avait annoncé à son ami Farini, il communia en présence de sa famille et de toute sa maison. « Quelques minutes après, a écrit la marquise Alfieri, deux faibles mouvemens de hoquet aussitôt réprimés nous apprirent que sans souffrance, sans agonie, il venait de rendre son âme à Dieu. » C’était le 6 mai ; une semaine avait suffi pour briser ce robuste lutteur, pour éteindre ce génie lumineux qui avait si puissamment brillé sur la scène du monde ; sans porter sur cette vie un jugement qui reste réservé aux futurs historiens de notre temps, nous nous permettrons de l’apprécier sommairement dans les conclusions que comporte cette étude.


Comte BENEDETTI.