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l’Italie entière. A-t-il été séduit par la rapidité avec laquelle la première de ces deux solutions s’est en quelque sorte imposée, grâce aux dissentimens des puissances, grâce surtout aux encouragemens venus de Paris et de Londres ; ou bien a-t-il été entraîné par les exigences du parti de l’action, par l’appréhension de voir les hommes qui le dirigeaient, devenus de plus en plus impérieux, provoquer une agitation redoutable d’où pouvait naître la guerre civile qui eût fourni à l’Autriche un légitime prétexte d’intervention ? Ces deux conjectures semblent également vraisemblables et il faut croire que ces deux ordres de considérations l’ont simultanément déterminé à adopter le parti qu’il a pris.

Mais pour compléter l’union, il fallait ravir au Pape l’Ombrie et les Marches, et conquérir le royaume des Deux-Siciles. On sait à quel expédient on eut recours. En pleine paix, sans nulle provocation, des volontaires, réunis et armés à Gênes sous les yeux de l’administration piémontaise, entreprirent, sous le commandement de Garibaldi, une conquête invraisemblable qu’ils conduisirent cependant à bonne fin. Les événemens, dont avait été le théâtre le nord de l’Italie, y avaient préparé les esprits en Sicile et Naples, et Garibaldi n’eut guère qu’à paraître pour remporter des victoires faciles. Qui l’a assisté, qui l’a muni des moyens nécessaires ? Le roi Victor-Emmanuel et le comte de Cavour. On sait aujourd’hui que l’argent, pour une bonne part, fut avancé par la liste civile et que l’arsenal de Gênes pourvut à l’armement. Comment le souverain et son premier ministre concilièrent-ils leur ambition et leurs devoirs internationaux ? Il est vraisemblable qu’ils n’en prirent aucun souci. Ils le montrèrent bien quand vint le moment d’aviser aux conséquences de l’entreprise qu’ils avaient encouragée.

Entré en triomphateur à Naples, Garibaldi était le maître absolu du royaume des Deux-Siciles ; il était mal entouré. Pour la plupart, ses lieutenans appartenaient au parti avancé, — M. Crispi en était, — et oublieux du concours reçu, peut-être aussi des engagemens pris, ils suggéraient à leur chef de s’illustrer en inaugurant, dans le midi de l’Italie, le régime républicain. Ils le conjuraient d’en faire l’essai, nul obstacle ne semblant devoir l’entraver ; les populations, intimidées et éblouies, acclameraient, pensaient-ils, les résolutions les moins prévues. Le comte de Cavour eut la claire vision des dangers qui menaçaient ses secrètes combinaisons ; il les avait prévus et il s’était mis en mesure de les conjurer et de pourvoir à toutes les nécessités, dût-il faire emploi de la force. L’ordre fut donné aux troupes piémontaises d’aller occuper Naples en s’avançant par l’Ombrie et les Marches. Il entrait dans les calculs de Cavour de prendre, en