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bien l’honorer. La Russie, il y a vingt ans, n’a pas reculé devant la guerre ; aussi M. Gladstone ne lui marchande-t-il pas non plus les expressions laudatives. Lorsqu’on est résigné ou résolu à la guerre, toute une politique s’ensuit logiquement ; mais il y a quelque chose de contradictoire à ne pas vouloir la guerre, et même à le dire très haut, et à parler pourtant comme si on en acceptait la terrible éventualité. C’est ce que fait M. Gladstone. Nous doutons que, par ce moyen, il réussisse à faire peur même au sultan, qui n’est pourtant pas réfractaire à ce genre de sentiment. En fin de compte, il se borne à demander que le gouvernement anglais rompe ses relations diplomatiques avec le gouvernement ottoman, et qu’il rappelle son ambassadeur de Constantinople. A quoi bon ? Une rupture de ce genre n’a de valeur pratique, surtout auprès d’un souverain comme le sultan, que si elle est l’annonce d’autre chose et s’il est permis d’y voir une menace destinée à être suivie d’effet. Dans le cas contraire, elle est tout à fait inefficace, et ne peut avoir d’autre conséquence que de mettre le gouvernement qui y a eu recours dans l’embarras de savoir à quel moment il pourra renouer des relations imprudemment suspendues. Le sultan serait puni d’une manière à laquelle il risquerait d’être peu sensible si l’ambassadeur d’Angleterre le privait, pendant quelque temps, de sa présence et de ses conseils. On a fait remarquer à M. Gladstone que le seul résultat de sa proposition, si elle était adoptée, serait, en cas de troubles nouveaux, de priver ses nationaux en Orient de la protection immédiate du représentant de la Reine. Le retrait de l’ambassadeur serait un acte tout platonique de mauvaise humeur et de bouderie : ce n’est pas là ce qui convient à un grand peuple et à son gouvernement.

Mais alors, encore une fois, que faut-il faire ? Nous persistons à croire qu’il n’y a en Orient qu’une politique à suivre, à savoir celle qui résulte de l’accord de toutes les puissances en vue d’exercer sur le sultan une pression aussi forte, aussi énergique que possible. C’est la conclusion de lord Rosebery dans une dernière lettre qu’il vient d’écrire de Dalmeny, et où il déclare que toute action isolée de l’Angleterre ne pourrait avoir que des effets déplorables. Ce qu’il dit de l’Angleterre ne serait pas moins vrai d’une autre puissance. Toute action séparée, non seulement d’une puissance, mais même de plusieurs d’entre elles à l’exclusion de certaines autres, serait un affaiblissement de l’Europe. Celle-ci n’a de force que dans son union. Si cette union n’est pas parfaite, absolue, sincère, le sultan n’a pas beaucoup de peine à démêler sur quels gouvernemens il peut s’appuyer pour échapper aux objurgations plus ou moins impérieuses que les autres lui adressent, et alors tout est perdu. La guerre seule, et personne ne la veut, pourrait assurer quelque efficacité à une intervention qui ne serait pas notoirement celle de tous. Sans doute, même