Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors à se faire entendre, et nous aurons à y revenir bientôt ; mais il est intéressant de noter l’impression produite sur la presse continentale, et en particulier sur les journaux de la triple alliance, c’est-à-dire de Vienne et de Berlin, par les manifestations excessives et intempérantes qui se succédaient sans interruption en Angleterre. Si les journaux anglais avaient cru entraîner ceux de l’Europe centrale, ils s’étaient absolument trompés, et ils n’ont pas tardé à s’en apercevoir. Le ton des journaux autrichiens et allemands a été des plus rudes. Ils ont protesté avec chaleur contre toute idée d’une action particulière et isolée de l’Angleterre, rappelant que l’Europe s’y était toujours opposée et qu’elle ne la permettrait de la part d’aucune puissance. A cet égard, les déclarations faites il y a un an par le prince Lobanof, sur la mémoire duquel M. Gladstone rejetait, il est vrai, la responsabilité des « terribles méfaits » qui venaient d’être perpétrés, avaient été catégoriques. La presse austro-allemande témoignait qu’elle ne se laissait pas émouvoir par ces accusations, et que la politique des gouvernemens dont elle était l’organe n’en serait pas ébranlée. La Nouvelle Presse libre et le Nouveau Tagblatt, bien que servant à l’intérieur des intérêts politiques opposés, s’accordaient subitement pour dénoncer au dehors les projets ténébreux de la Grande-Bretagne. Les journaux allemands n’étaient pas moins amers : nous n’avons que l’embarras des citations à faire. La Gazette de Cologne, par exemple, écrivait ce qui suit en s’adressant à l’Angleterre : « Si vous croyez que l’Europe vous donnera mandat d’intervenir dans les affaires turques, vous vous trompez ; et votre erreur n’est pas moindre si vous imaginez qu’elle tolérera une intervention isolée de votre part, entreprise sans son consentement. Elle sait pourquoi vous étiez jadis l’ami de cœur du sultan, et pourquoi vous voici devenue son pire adversaire. Il y a plus d’or anglais que de roubles russes en circulation dans l’empire ottoman, et cela est assez significatif… Vous avez démérité de la triple alliance. Craignez qu’une tentative d’occuper la Corne d’Or n’aboutisse qu’à vous faire chasser de l’Egypte. »

C’est dans le même sens et presque dans les mêmes termes que s’exprimaient tous les autres journaux allemands. Si les Anglais sont justes pour la presse française, ils reconnaîtront que, dans cette crise, son langage à leur égard a toujours été plus modéré. Au fond l’opinion, en Allemagne, est beaucoup plus opposée à l’Angleterre qu’elle ne l’est chez nous, au moins depuis longtemps. La politique peut conseiller de mettre une sourdine à l’expression de ces sentimens, mais toutes les fois que l’occasion s’en présente, le feu qui couve sous la cendre fait explosion. L’Allemagne reconnaît de plus en plus que la grande concurrente qu’elle rencontre sur les mers et qui arrête l’expansion de son commerce, c’est l’Angleterre, et l’hostilité immanente entre les deux pays se manifeste parfois avec une violence imprévue. Quant à