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ou des conjectures et chacun, suivant son tempérament ou son éducation, donnerait une explication différente des sentimens qui l’agitent et de la jouissance qu’il éprouve. Tel, pour prendre intérêt à ces abstractions, a besoin de leur prêter une figuration pittoresque dans son esprit ; tel autre veut suivre une idée, se composer un drame, inventer des incidens et des épisodes qui répondent à toutes les phases de l’œuvre qu’il écoute ; d’autres encore se contentent de s’abandonner naïvement à un plaisir dont ils ne cherchent à analyser ni les effets ni les causes ; pour d’autres enfin, les beautés de cette œuvre sont indépendantes et ne relèvent que de la musique seule, de l’inspiration des motifs, les arabesques du dessin mélodique, de la richesse des développemens, de l’enchaînement des pensées, du coloris plus ou moins brillant que leur donnent l’harmonie et l’orchestration. Entre tant de façons et si tranchées de sentir et de juger un même ouvrage, vous n’en rencontreriez pas deux qui fussent de tout point semblables.

Bien des questions, on le voit, peuvent être posées à propos de la symphonie, et critiques ou philosophes se trompent étrangement lorsque, frappés par le caractère de simplicité que les maîtres ont su lui donner, ils croient pouvoir mieux étudier et définir en elle ce qui est l’essence même de l’art musical. C’est bien là, en effet, le domaine propre de la musique pure, celui où, réduite à ses seules ressources, elle se suffit et atteint pourtant une irrésistible puissance. Mais l’idée de confier peu à peu à des instrumens qu’il a fallu longtemps façonner un rôle prépondérant et de limiter graduellement jusqu’à l’exclure tout à fait celui qu’il était naturel d’attribuer à la voix humaine, c’est-à-dire à l’instrument le plus immédiat, cette idée ne pouvait être que très tardivement réalisée. En dépit de sa simplicité apparente, la symphonie est le terme extrême d’une longue série d’efforts. De toutes les formes musicales, elle est venue la dernière, et l’oratorio, comme l’opéra, qui cependant semblent des genres plus compliqués, avaient déjà produit des chefs-d’œuvre qu’elle n’était pas encore née.

Pour apprécier les efforts qui l’ont faite ce qu’elle est, il convient donc de la suivre dans son développement historique et d’observer ainsi sur le vif les débuts et les progrès de son existence. Quand nous aurons vu les difficultés dont elle eut à triompher avant d’être constituée, nous comprendrons mieux quelques-uns des problèmes qu’elle soulève et que trop souvent on a essayé de résoudre d’emblée, a priori, en eux-mêmes, avec un appareil philosophique ou un parti pris systématique qui en ont augmenté les obscurités. Au lieu de dénaturer ces problèmes en les