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sels d’Oued-Djemaa, les vins et les olives de Relizane, de Saint-Denis-du-Sig et de Sainte-Barbe-du-Tlélat. Le site sur lequel elle s’élève est pittoresque, mais la végétation est pauvre ; la lutte pour la vie est âpre et le labeur incessant. Comparée à Oran, Alger semble une Capoue.

Tout autre apparaît Tlemcen, « la ville des mosquées », l’ancienne capitale du Maghreb central, l’une des plus curieuses des cités de l’Algérie et des moins visitées par les touristes. Et cependant l’accès en est aisé : une voie ferrée de 165 kilomètres la relie à Oran. Il est vrai que ses hôtels laissent à désirer, et que pour se rendre d’Oran à Tlemcen, il convient d’être matinal, mais Tlemcen vaut qu’on le soit et qu’un peu plus ou moins de confort n’entre pas en ligne de compte. Après une visite de quelques heures à Sidi-Bel-Abbès, le train du soir m’emporte à travers un paysage fantastique qu’éclaire la lune en son plein ; des plaines fertiles de Tisser, il gravit, par des rampes et des tunnels, une région montueuse, accidentée et boisée. Chemin faisant, je cause avec mes compagnons de route : un colon français de Saint-Denis-du-Sig, un chirurgien militaire en retraite domicilié à Orléansville. Leur conversation m’intéresse ; le premier est né en Algérie et ne l’a jamais quittée. Il appartient à cette catégorie, beaucoup plus nombreuse qu’on ne le supposerait, d’Algériens, enfans de colons français, qui ne connaissent pas la France ; j’en ai vu à Alger ; on en rencontre fréquemment dans l’intérieur. Le second habite l’Algérie depuis trente ans ; il est essentiellement Algérien et n’a, semble-t-il, nul désir de revoir la terre natale. De ce qu’ils me disent se dégage tout d’abord un point de vue particulier, une manière d’envisager les choses qui m’a déjà frappé dans d’accidentelles rencontres antérieures. Et une question nouvelle s’impose à mon attention : dans quelle mesure le fatalisme arabe agit-il sur l’Européen ?

De même que l’homme ne saurait impunément vivre dans un air ambiant vicié sans en ressentir les effets, de même il ne saurait vivre dans une atmosphère morale, dans un milieu d’idées sans s’en imprégner plus ou moins. Certes, l’on voit des natures d’élite fortement trempées résister aux plus pernicieux exemples, aux plus dangereux contacts, de même que l’on voit des êtres sains et vigoureux braver les fièvres des tropiques et le vomito negro du Centre-Amérique, mais ce sont là des exceptions. L’homme subit inconsciemment l’influence de son milieu, et l’exemple des races les plus résistantes le prouve ; l’Européen, aux Indes comme aux Antilles, devient insensiblement « Anglo-Indien » ou « Créole ». Or, ce qui me frappe chez mes