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avait été, de 1200 à 1600, à peu près dans la même proportion que de nos jours avec le salaire du journalier. Le premier gagne aujourd’hui 36 p. 100 de plus que le second ; or la différence moyenne des quatre siècles qui viennent de passer sous nos yeux a été de 39 p. 100. Cette prime de 39 p. 100, qui rémunéra la capacité de l’ouvrier de métier, est loin, il est vrai, d’avoir été invariable de Philippe-Auguste à Henri IV. Mais à travers les oscillations qu’elle a subies, nous pouvons discerner encore la loi inflexible de l’offre et de la demande. Si par exemple l’écart, après s’être réduit jusqu’à 20 p. 100 en 1326-1350, époque de la hausse continue des salaires ruraux, provoquée par le développement de l’agriculture, s’élève à 57 p. 100 sous Charles VI, au profit des individus possédant une éducation professionnelle, n’est-ce pas, au milieu du désarroi universel, la difficulté du recrutement et de l’apprentissage, par suite la rareté des ouvriers instruits, qui les fait renchérir ?

Comparerons-nous le salaire ouvrier du moyen âge au salaire actuel ? La rémunération annuelle calculée sur 250 jours de travail seulement débute au XIVe siècle à 782 francs et s’élève à 860, puis à 1 040 francs en 1376-1400. Au XVe siècle elle oscille entre 1 100 et 1 240 francs. Elle était donc incontestablement supérieure à la paie de 1896 qui, pour un travail de 300 jours, n’atteint que 1 020 francs par an. On objectera que ces fixations du chiffre des jours de labeur contiennent quelque part d’arbitraire, parce que toutes les professions subissent un chômage plus ou moins prolongé ; mais cette considération a peu d’importance dans une étude du genre de celle-ci. Si l’on adoptait le même nombre de jours, autrefois et aujourd’hui, l’avantage de l’ouvrier ancien serait seulement exprimé en argent au lieu de l’être en loisirs.

De 1 240 francs qu’il recevait en 1476-1500, — c’est-à-dire en espèces 20 pour 100 de plus qu’en 1896, avec 17 pour 100 de moins en efforts, — l’ouvrier tombe à 980 francs à la fin du règne de François Ier, puis à 750 francs à la fin du XVIe siècle. Pour avoir moins perdu que le journalier, qui, de Louis XII à Henri IV, était passé de 900 francs à 490, l’ouvrier d’état n’en avait pas moins subi une baisse de 62 pour 100 dans ses recettes. Et sa condition ne devait pas se relever, dans les deux cents ans qui séparent le début du XVIIe siècle de la Révolution de 1789, au contraire !


Vte G. D’AVENEL.