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si le fonctionnement de ces pesans rouages nous est révélé dans tous ses détails, les conséquences qu’ils ont pu avoir sur le prix de la main-d’œuvre ne nous sont pas connues encore.

Il les faut étudier sans parti pris pour se convaincre de l’inanité des efforts tentés en ces matières par les pouvoirs publics du moyen âge et des temps modernes. Nous avons vu la loi économique gouverner en souveraine le taux des gages du journalier, du domestique, de toutes ces paires de bras que les Anglais appellent unskilled — sans capacités ni connaissances spéciales. — Mais c’étaient là, dira-t-on, des espèces faciles à vivre, qui ne savaient point résister au courant des choses, qui ne formaient ni association, ni confrérie d’aucune sorte. Or il résulte des chiffres recueillis par nous que les corporations plus ou moins fermées, avec leur cortège de règlemens et les prérogatives dont elles s’étaient fait investir, n’ont pas exercé d’influence sur le prix du travail, ni aux temps féodaux, ni dans les derniers siècles. Les ouvriers de métier ont eu beau se grouper et se raidir dans leurs jurandes ; ils ont subi les mêmes vicissitudes que les malléables hommes de peine, isolés, désarmés, devant les mouvemens de hausse et de baisse des salaires que causaient la rareté ou l’abondance des hommes.

Ni la puissance des rois, ni la coalition des intérêts savamment organisée en faveur des beati possidentes, ne sont parvenues à maîtriser la valeur de la main-d’œuvre. La proportion a été, à peu de chose près, la même autrefois qu’aujourd’hui : entre le salaire des journaliers ruraux et celui des ouvriers de métier ; entre les salaires respectifs des divers métiers (maçons, charpentiers, couvreurs, etc.) et par suite entre le nombre de ceux qui s’y adonnaient. Enfin il n’y a aucune différence appréciable, dans la rétribution de chaque corps d’état, entre les villes où ces corps d’état étaient libres et celles où ils étaient monopolisés. Les corporations ne mériteraient donc, à ce point de vue, — et ce point de vue est le principal, — d’une hausse artificielle des salaires, ni les éloges, ni les colères dont elles ont été l’objet de la part de certaines personnes qui n’en parlent que par ouï-dire, d’après des légendes non contrôlées. Doit-on attribuer cet insuccès aux ordonnances de maximum, que promulguait de temps en temps la puissance sociale, — monarques ou municipalités urbaines. — pour réduire la paye des « gens de métier » à de « justes limites », lorsqu’elle paraissait « exorbitante » ? Nullement. L’ingérence de l’Etat et en général de toute autorité constituée, les efforts faits, par voie coercitive, pour diminuer les salaires quand ils s’élevaient naturellement, ont été aussi peu efficaces que ceux des salariés pour les maintenir quand, d’eux-mêmes, ils tombaient.