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répondre ait demandé un délai. La chose est trop certaine, trop d’autres témoins sont d’accord avec Furstemberg pour nous l’affirmer. Mais il s’efforce de démontrer que, loin d’avoir paru abattu et découragé ; le moine, devant la Diète, s’est comporté avec sa fougue et sa vaillance ordinaires. Le nonce Aleander, qui était assis à deux pas de lui, entre l’Empereur et le Prince Électeur, et qui pouvait ainsi l’observer à loisir, ne lui a-t-il pas reproché « sa mine souriante » et la « scandaleuse forfanterie » de son attitude ?

Reste à savoir pourquoi, si ce n’est point parce qu’il avait peur, Luther a demandé ce fameux délai. C’est, suivant M. Hausrath, pour rester plus longtemps à Worms, pour faire durer le débat, et pour pouvoir, à la séance suivante, exposer sa doctrine avec plus de détail. Ce qu’on a mis sur le compte de sa faiblesse était au contraire le fait de sa ruse, soutenue et stimulée encore, sans doute, parcelle de son princier ami, Frédéric le Sage. Celui-ci était par excellence l’homme des délais et des réponses évasives. « Le temps de réfléchir », jamais il ne manquait à le demander, avant de prendre un parti : et ce n’est pas sans raison que son confident Spalatin l’appelait : « Fridericus Cunctator. »

Admettons donc, avec M. Hausrath, que Luther, en agissant comme il l’a fait, s’est proposé simplement de jouer un bon tour au nonce et aux légats. Mais il ne nous paraît point prouvé que cette ingénieuse explication serve beaucoup sa mémoire : et peut-être ceux-là même qui lui eussent le plus volontiers pardonné un moment de défaillance lui sauront-ils mauvais gré de s’être montré si malin dans des circonstances si graves. Il y a là, en tout cas, un petit problème de morale qui mériterait, croyons-nous, d’être discuté.

T. de Wyzewa.