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printemps, presque l’aspect d’un paysage anglais où l’eucalyptus aurait remplacé le chêne. Mais plus on s’avance vers l’ouest et plus les arbres deviennent rares : les éleveurs en sont d’ailleurs les ennemis et les détruisent pour pouvoir nourrir plus de moutons. Les immenses plaines du Darling sont couvertes d’herbes spéciales, de salt-bush, qui se plaisent dans ces sols légèrement salés, et l’on n’y voit guère d’eucalyptus qu’aux abords des villes et des habitations.

Toute cette région du bassin du Murray, et en particulier le pays du salt-bush, est la terre d’élection des mérinos importés d’Espagne à la fin du siècle dernier et qui forment aujourd’hui les neuf dixièmes des troupeaux du continent australien. Le climat du littoral serait trop humide pour eux, mais à l’intérieur la pluie totale n’est que de 200 à 400 millimètres, et pendant les deux tiers de l’année la sécheresse est absolue. L’été y est torride : celui de Bourke sur le Darling, la principale ville de l’ouest de la Nouvelle-Galles, est aussi chaud que celui du Caire, et l’on y a noté 53° à l’ombre, plus qu’on n’a jamais vu à Biskra ; entre le jour et la nuit, entre l’hiver et l’été, les écarts du thermomètre sont énormes ; mais la température moyenne de l’hiver est encore de 12° ; s’il gèle parfois la nuit, ce n’est que rarement et très légèrement, et la neige est inconnue. Les éleveurs peuvent ainsi laisser leurs troupeaux en plein air toute l’année, sans avoir à craindre que le froid ne les décime, comme il arrive trop souvent sur les hauts plateaux algériens par exemple. La douceur de l’hiver est une condition essentielle pour l’élevage extensif des bêtes à laines ; elle se retrouve dans tous les pays qui s’y livrent, l’Amérique et l’Afrique méridionales, tandis que des conditions climatologiques opposées ont empêché les États-Unis de prendre un des premiers rangs dans cette industrie. Le nombre des moutons australiens, qui était de 105 en 1792, s’élevait en 1892 à 122 millions. En 1861, on n’en comptait encore que 23 millions, 49 dix ans plus tard, 78 en 1881. La seule colonie de la Nouvelle-Galles du Sud a décuplé son troupeau depuis trente ans et possédait, en 1892, 58 millions de bêtes à laine ; sa voisine du nord, le Queensland, où le mouton n’est élevé que dans le tiers méridional, en avait 21 millions ; sa voisine du sud, Victoria, 13 millions. A l’ouest de ces trois colonies commence le véritable désert australien, où les pluies deviennent extrêmement faibles, où le sol est souvent couvert de fourrés inextricables d’eucalyptus rabougris ; déjà le nord-est de Victoria, le pays du mallee-scrub, se trouve dans ce cas. Dans l’Australie du Sud, dont l’immense territoire traverse d’outre en outre le continental n’y a plus que 7 millions de