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dont une revue très répandue[1] avait eu la primeur. Il est presque inutile d’ajouter que des propositions aussi malsonnantes ont valu des injures à leur auteur. M. Williams en a empoché beaucoup, et de fort grosses, qui lui apprendront à jouer les Cassandre. Pour des complimens, c’est différent ; la récolte a été maigre. Il a cependant été soutenu avec chaleur par un homme d’Etat qui n’est rien moins que lord Rosebery, dans un discours dont il sera parlé en son lieu, et par un journaliste au moins, le même qui attacha le grelot dans la presse britannique, en 1884, pour forcer la main au gouvernement dans la question de l’accroissement de la flotte. Ce dernier écrit aujourd’hui avec sa décision accoutumée : « Nous sommes en face d’un danger aussi grand et aussi accablant que celui qui nous menaçait sur mer il y a douze ans… Puisons du courage dans les souvenirs de 1884… Il a suffi alors de quelques articles pour réveiller la nation. Nous espérons — et nous y comptons — que la publication de M. Williams sur l’état auquel en est réduit le commerce anglais dans sa lutte contre la concurrence allemande provoquera une volte-face semblable. » L’auteur de cet article pessimiste ajoute qu’il n’y a pas de temps à perdre ; encore quelques années d’incurie, et il sera trop tard. L’Angleterre sera une « nation ruinée », d’où montera un long cri de désespoir et de colère à l’adresse de ses gouvernans : « Nous sommes trahis[2] ! »

Comment faire entrer une idée pareille, aussi paradoxale, aussi cruelle, presque blasphématoire, dans l’esprit d’un peuple qui se croit le premier du monde, et qui a vu dans la dernière reprise sur les cotons « une dispensation spéciale de la Providence en faveur de l’Angleterre » ? M. Williams a recours à tous les argumens. D’abord, ceux qui sont à la portée du premier venu, du gentleman qui n’est pas dans les affaires, qui n’y entend rien, et qui se perdrait dans des statistiques : « Regardez autour de vous, lui dit M. Williams ; voici à peu près ce que vous verrez. Vous découvrirez que l’étoffe d’une partie de vos vêtemens a probablement été tissée en Allemagne. Il est encore plus probable qu’une partie des objets d’habillement de votre femme est d’importation allemande, et il est hors de doute que les beaux manteaux et les magnifiques jaquettes avec lesquelles ses bonnes s’endimanchent ont été faites en Allemagne et vendues par des Allemands, sans quoi on ne les aurait pas eues à ce prix-là. Le fiancé de votre institutrice est commis dans la Cité, mais lui aussi a été fait en Allemagne. Les joujoux, les poupées et les livres de contes que vos

  1. New Review.
  2. Review of Reviews, 15 juillet 1896.