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Il a cessé d’étudier, non de produire. Pour ne pas se laisser oublier, comme on en donne souvent le conseil, il écrivit des mémoires insignifians d’abord, puis mauvais, et enfin ridicules. Un juge perspicace aurait pu deviner qu’il manquait de conscience. On pouvait, de très bonne foi, affirmer et démontrer son ignorance ; on pouvait, de très bonne foi aussi, le regarder comme un géomètre ingénieux, ayant fait ses preuves, et calomnié par l’esprit de parti. Ses recherches sur l’histoire de la science et la distinction de son esprit justifiaient d’ailleurs la situation qu’il avait prise dans la haute société parisienne.

Il n’est pas sans intérêt de relire, après cinquante-six ans écoulés, les jugemens de cet homme très intelligent, qui sait haïr sans colère, et qui préfère la vérité à l’erreur, quand elle ne nuit pas à sa thèse. On peut y apprendre ce que valent les témoignages contemporains quand ils ne sont pas contrôlés, et ce qu’il faut penser d’un argument accepté par les érudits qui, dans les ténèbres du passé, croient triompher de toutes les objections et de tous les doutes, par ces seules paroles :

Il y a un texte authentique !

Un texte authentique peut induire en erreur, parce que telle a été l’intention de l’auteur ; quelquefois aussi, parce qu’il exprime mal sa pensée. Quoique Libri connaisse bien notre langue, il s’expose quelquefois par une expression mal choisie, ou qui dépasse sa pensée, à la faire imparfaitement comprendre. C’est ce qu’il a fait tout d’abord en parlant des événemens qui se passent à l’Académie ; l’expression est beaucoup trop forte, il ne se passait rien qu’on pût nommer ainsi. Si dans cinq cents ans, un historien curieux des origines de l’Institut lisait les lignes suivantes :

Malgré leur unité primitive, les liens qui attachaient les différentes Académies de l’Institut s’étant relâchés par diverses circonstances, elles ont cessé, peu à peu, de se réunir et de vivre en commun,

il pourrait en conclure, à tort, chez nos confrères du commencement du siècle, des habitudes d’intimité dont l’expression de vivre en commun serait la preuve. Libri égare le lecteur quand il dit plus loin :

Sous la République et sous l’Empire, les différentes classes de l’Institut formaient un tout indivisible.


Si les Académies formaient un tout, ce tout était, comme aujourd’hui, non seulement divisible, mais divisé. Jamais un géomètre n’a voté dans l’élection d’un peintre, jamais un peintre dans celle d’un poète. Libri, d’autre part, est mal informé quand il écrit :