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prétendra-t-il s’égaler à Dieu par ses vertus ? Il n’a pas dit non plus : « Si votre œil, si votre main sont pour vous des occasions de chute, arrachez-les. » Il n’a pas dit : « Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ne vous mettez pas en souci du lendemain ; portez votre croix et donnez votre bien aux pauvres. » Il dit : « Donnez aux nécessiteux une notable portion de votre revenu ; on s’enrichit en faisant l’aumône. »

Ce prophète, qui n’était et ne voulait être qu’un homme, s’est proposé d’instituer une religion qui servit à maintenir les hommes dans l’ordre, à leur faire mériter les miséricordes de Dieu par l’acquiescement à certaines formules, par des actes intérieurs et par de bonnes actions, par la prière, les dévotions, les observances. Aussi l’islamisme est peut-être la seule religion de la terre qui puisse être pratiquée exactement et à la lettre, sans recourir aux accommodemens, à la distinction subtile des préceptes et des conseils. Faite pour une race chez qui les appétits des sens et le penchant sexuel sont très forts, elle n’a eu garde de lui proposer une perfection chimérique, de lui prêcher des vertus surhumaines. Partant, il est permis de croire que le bonheur qu’elle lui promet dans une autre vie n’a rien non plus qui surpasse la nature, et comme le dit si bien M. de Castries, « la possession de deux êtres l’un par l’autre donnera toujours à nos esprits, si spiritualisés qu’ils puissent être, l’image la plus rapprochée de la jouissance infinie. »

Mais il faut ajouter que dans la pensée du Prophète les joies de la chair n’excluent point celles de l’esprit. « Dieu a promis aux croyans, hommes et femmes, lit-on dans le Coran, des jardins arrosés par des cours d’eau ; mais la satisfaction de Dieu est quelque chose de plus grand encore ; c’est un bonheur immense. » M. de Castries cite ce mot d’un pieux musulman, Cheik-el-Alem : « Le paradis, Seigneur, n’est souhaitable que parce qu’on vous y voit, car sans l’éclat de votre beauté il nous serait ennuyeux. » Un autre disait : « Ah ! Seigneur, faites de moi tout ce qu’il vous plaira, pourvu que je ne sois jamais séparé de vous… Cent mille morts les plus cruelles se peuvent souffrir, car elles n’ont rien de si terrible que la privation de votre divine face… Votre absence est ce qui cause tous les maux de l’enfer. » On croit lire l’Imitation. Des houris et des joies mystiques, le paradis de Mahomet n’est fermé à aucun genre de félicité. Il avouait lui-même avec candeur qu’il aimait trois choses en ce monde, les femmes, les parfums, mais par-dessus tout la prière. Il disait aussi, s’il en faut croire la tradition, que la jouissance des femmes le rendait plus fervent à l’oraison. Ses fidèles trouveront dans le paradis qu’il leur ouvre et des parfums suaves et des femmes exquises et des prières plus fraîches que la rosée, plus douces que le miel. L’islamisme est en quelque sorte une religion à hauteur d’appui ou, pour mieux dire, à hauteur d’homme ; c’est ce qui lui attire les mépris des idéalistes, mais c’est aussi ce qui fait sa force. Cet