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comme un appoint dont les bénéfices permettraient de vivre en attendant les résultats — quatre, cinq ou six ans — d’une plantation, ou ceux moins longs — un, deux ou trois ans — d’une exploitation forestière ou minière. C’est cette voie que la marche des événemens impose à la Compagnie de Kong, c’est dans cette direction également que, très judicieusement, s’est engagée la Société française de la Côte d’Ivoire.


II

On peut considérer essentiellement la Côte d’Ivoire comme un pays vierge. Tout y est à créer, à organiser, à prévoir. Si l’on en excepte les travaux indispensables de premier établissement sur les points de la côte occupés par les Européens, la création de quelques postes à l’intérieur, — villages de Bettié, Zaranou, Toumodi, Kodiokoffikrou, Altakrou, — le percement d’une route carrossable vers le Baoulé et d’une autre, plus rudimentaire, vers l’Assikasso, il n’est pas téméraire de dire que, tout excellente qu’ait été l’administration de M. Burger, la plupart des travaux d’utilité publique attendent un commencement d’exécution. Si le budget de la colonie a été scrupuleusement équilibré, c’est que des dépenses considérables ont été ajournées. Derrière la lagune de Grand-Bassani même, commence la forêt, la forêt primitive, sauvage, indéfrichée ; la civilisation n’a pas encore entouré d’une zone d’influence les centres d’où elle est appelée à rayonner un jour.

Les difficultés qu’aura à vaincre l’implantation française seront de trois sortes : les unes proviendront de la contrée même, d’autres, des habitans indigènes, d’autres enfin, de l’élément européen lui-même qui représentera cette colonisation.

Parmi les premières, tout d’abord, il faut citer la barre. Chacun sait aujourd’hui en quoi consiste ce phénomène dont la côte occidentale d’Afrique n’a pas le triste et dangereux monopole, mais qui règne également sur la côte orientale, sur celle de Coromandel, aux Indes, sur certains littoraux d’Amérique et même en quelques points isolés de nos rivages d’Europe. C’est un ressac plus ou moins violent que produisent, en se brisant contre une marche de sable sous-marine, les houles éternelles de la mer. La Guinée, cependant, est un des pays où la barre présente le plus de dangers et de continuité. Du Libéria au Niger, toute la côte est uniformément défendue par ces larges volutes sans cesse reformées en pleine mer, sans cesse précipitées en torrens d’écume sur la plage à pic. On conçoit à quel point elles doivent rendre l’embarquement et le débarquement difficiles, aléatoires,