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le mieux mérité des antiquités africaines, au docteur Carton, aujourd’hui médecin-major du 19e chasseurs. Dans son long séjour en Tunisie, M. Carton s’est épris du pays et de ses souvenirs : c’est ce qui arrive très souvent à nos officiers, et ce qui en a fait, pour nos études, de si précieux auxiliaires. Une chance heureuse a voulu que son service attachât M. Carton aux territoires qui avoisinent la Medjerda, et qui ont été autrefois un centre de féconde activité. Les ruines y abondent ; M. Carton les visita pieusement ; il prit l’habitude, dans ses courses à travers champs, de chercher les voies romaines qui se cachent sous les broussailles ; il copia les inscriptions et apprit à les déchiffrer ; puis, après qu’il a eu suffisamment étudié les fouilles des autres, il s’est mis à fouiller lui-même. Il faut avouer que peu d’archéologues ont eu la main aussi heureuse que lui. Avec une somme insignifiante que l’Académie des inscriptions lui avait donnée, et en deux mois de temps, il nous a rendu le théâtre de Dougga. Au commencement des travaux, le caïd de Teboursouk vint visiter le chantier, et quand il vit la masse de terre et de pierre qu’il fallait déplacer, il dit à M. Carton : « Tu n’auras pas fini dans un an. » M. Carton, qui ne pouvait disposer que de deux mois, se contenta de lui répondre : « Tu verras, » et au jour fixé le travail était achevé. En ce peu de temps, il avait creusé le sol jusqu’à six et sept mètres de profondeur et enlevé 3 000 mètres cubes de décombres.

Le théâtre de Dougga est assurément le plus beau et le mieux conservé de tous ceux que j’ai vus en Afrique. Il était adossé à la colline sur laquelle la ville est bâtie, en sorte que les gradins reposent sur le roc. Est-ce la raison qui les a préservés de la ruine ? Ce qui est sûr, c’est qu’on est d’abord frappé de leur merveilleuse conservation : « Les arêtes y sont aussi vives, dit M. Carton, les coups de ciseau des tailleurs de pierre aussi nets que si le monument avait moins d’un siècle. » De l’orchestre au sommet, il y en a vingt-cinq rangées, toutes restées en place. Au-dessus, l’édifice était couronné par un portique d’où l’on pouvait suivre le spectacle. Le portique s’est écroulé, et les pierres en ont roulé le long des marches jusqu’à l’orchestre ; il en reste à peine quelques pans de muraille et une des portes par lesquelles on pénétrait du dehors dans le théâtre. Cet accès n’était pas le seul qui permît d’arriver aux gradins : des deux côtés de l’orchestre, deux couloirs voûtés y conduisaient les gens qui voulaient prendre place sur les sièges inférieurs, sans descendre du haut de la colline. Toutes ces dispositions sont simples et se saisissent d’un coup d’œil.