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chasse aux motifs et aux réminiscences, la recherche, sous tous les accords, d’intentions subtiles et profondes, ce sont à coup sûr des passe-temps inoffensifs, et je ne nie pas qu’ils puissent à l’occasion être utiles ; mais ils n’ont rien à voir avec une doctrine artistique. Sans compter qu’il est toujours assez dangereux de vouloir déduire d’une œuvre d’art des leçons de technique trop absolues. Wagner lui-même l’entendait ainsi : qu’on se rappelle, par exemple, avec quelle réserve il a touché aux questions de technique toutes les fois qu’il a eu à parler de Beethoven, son seul vrai maître ! Et ne voit-on pas combien de dommage ont causé à l’art des temps modernes les œuvres sublimes de l’art grec, simplement parce que nous avons voulu en induire des leçons, c’est-à-dire des lois et des règles à notre usage, tandis qu’il n’y avait à en inférer qu’une seule leçon : et c’est, à savoir, que les hommes qui ont produit de tels ouvrages devaient se faire du monde une autre conception que la nôtre, et vivre d’une autre vie. Les Grecs étaient un peuple d’artistes, et nous ne le sommes point : voilà l’unique enseignement qui résulte pour nous de leurs œuvres.

La doctrine artistique de Richard Wagner, ce sont les principes généraux que, durant toute la seconde période de sa vie, il a obstinément, infatigablement, invariablement soutenus, par la parole et par l’action : c’est l’ensemble de ses idées sur la destination de l’art.


I

Dès le début de cette période, et jusqu’à la fin de sa vie, c’est dans l’art grec que Wagner a pris le point de départ de ses théories : non pas qu’il ait jamais eu la vaine intention d’emprunter à l’architecture, à la sculpture, à la musique, au théâtre grecs, des règles positives et permanentes; mais parce que, suivant son expression, « les ruines elles-mêmes du monde grec nous enseignent à présent de quelle façon la vie, dans notre monde moderne, pourrait nous être rendue supportable. » Ainsi l’art véritable possède, d’après Wagner, une valeur si haute, que ses ruines elles-mêmes peuvent encore nous servir de leçon ; et non point pour nous apprendre à créer des œuvres d’art, mais pour nous montrer de quelle façon nous devrions réorganiser notre vie,

La vie, en effet, ne peut être « supportable » pour l’homme que dans une société où « l’art en constitue la fonction la plus haute ». Et tel n’est pas, assurément, le cas de notre société d’à