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par obéissance et sous l’impulsion d’un fanatisme surexcité par les autorités de l’Église et par ce qu’on leur avait enseigné comme leur devoir envers Dieu. Il ajoutait que, sachant maintenant que le but du gouvernement et le désir de la cour n’étaient pas tant de punir ces misérables égarés que de connaître leurs chefs, il avait résolu d’éclairer la justice et qu’il n’y faillirait pas. Enfin, arrivant aux faits mêmes, il racontait, avec des détails qui eussent fait frissonner le plus insensible, tout ce qui s’était passé depuis l’entrée du convoi dans l’Utah, jusqu’au dénouement fatal et au partage du butin.

Mais dans ce document Lee laissait absolument dans l’ombre les preuves de la complicité des hautes personnalités de l’Église ; il n’accusait que les autorités militaires locales, John M. Higbee, lieutenant-colonel du régiment de milice, et Isaac C. Haight, major du même régiment, qui seuls, selon lui, avaient eu qualité pour donner les ordres, en raison de la loi martiale que Brigham Young avait proclamée à la nouvelle de l’approche de l’armée fédérale. La population, d’ailleurs, était sous l’influence d’une exaspération pouvant expliquer bien des choses. En finissant, le prisonnier racontait que, peu de jours après le massacre, le major Isaac C. Haight, sous-ordre de W. Dame dans le district militaire du Iron, l’avait chargé d’aller à Salt Lake City rendre compte à Brigham Young de ce qui s’était passé, lui recommandant d’en assumer la responsabilité le plus possible et lui affirmant que cela lui mériterait une récompense du ciel ; qu’en conséquence il s’était transporté auprès du président, mais que celui-ci, en entendant son récit, avait versé des larmes comme un enfant, tordant ses bras de désespoir et disant que cette horrible affaire serait une source de malheur pour les Mormons et qu’il aurait tout donné pour qu’elle n’arrivât pas. Lee serait alors rentré fort abattu et aurait rapporté à ses chefs le résultat de la mission dont ils l’avaient chargé.

Le ministère public refusa d’accepter cette déposition, dans laquelle apparaissait d’une manière trop évidente le manque de bonne foi du prisonnier, qui s’était, en effet, bien gardé de compromettre d’une façon quelconque les personnages occupant les situations les plus élevées dans la hiérarchie de l’Église.

Du reste, sur les cinq membres qui composaient son conseil de défense, tandis que Spicer, Bishop et Hog disaient tous trois hautement vouloir avant tout sauver leur client, quoi qu’il pût advenir aux autres coupables, Sutherland et Bates, avocats en titre de l’Église, et qui, manifestement, avaient imposé leur concours, paraissaient n’avoir qu’un but : éviter à tout prix que le président fût incriminé. C’était assurément à la pression qu’ils