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masculinité s’est abaissée avec lenteur, il est vrai, mais très régulièrement depuis le commencement du siècle jusqu’à nos jours. De 107 garçons environ pour 100 filles en 1801, on est tombé à 104. De là on a conclu que, si la diminution de la natalité dans notre pays a en grande partie des causes volontaires, comme d’autre part elle coïncide avec une diminution de la masculinité, elle a dû avoir aussi des causes de nature physiologique. C’est donc tout ensemble la volonté et la capacité d’avoir beaucoup d’enfans qui diminuent, la première très rapidement, la seconde très lentement, comme par une punition au pied boiteux, qui, si l’on n’y prend garde, finira par menacer la race[1].

Par bonheur, l’abaissement de la masculinité est encore trop faible et trop lent pour indiquer une dégénérescence. Il fait seulement craindre une moins bonne santé générale, qui nous semble produite par l’amoindrissement de la sélection naturelle et sociale. En effet, chez un peuple peu fécond, la sélection ne trouve pas assez à s’exercer en faveur des plus robustes et des mieux « adaptés au milieu ». Les familles se réduisent elles-mêmes artificiellement à quelques membres, tels que le hasard les a produits : et ces membres, faute de concurrence active au dehors, bénéficient de leur petit nombre; ils sont conservés eux-mêmes artificiellement, quelle que soit la faiblesse de leur constitution. Il peut en résulter à la longue, pour la nation entière, un abaissement de ce que les physiologistes appellent le ton vital. De là, dans un ensemble de tempéramens sanguins-nerveux, l’appauvrissement de l’élément sanguin au profit de l’élément nerveux : les nerfs perdent leur modérateur. Et si le nervosisme est un danger pour l’individu, il est un danger bien plus grand pour la nation ; il ne peut qu’augmenter encore notre défaut essentiel : volonté instable, manque de ténacité et de persistance.

Le phénomène qui se produit en France n’est d’ailleurs que l’exagération des effets généraux amenés par la civilisation, qu’on accuse, elle aussi, d’être une cause de dégénérescence. Avec la division croissante du travail, fruit du progrès industriel et scientifique, les fonctions diverses de l’esprit et du corps sont inégalement exercées ; il y a surmenage ou mauvais usage d’une partie, désuétude et négligence des autres : de là, destruction partielle de divers organes, délabrement général de la santé,

  1. Là même où la natalité augmente, tout n’est pas gagné. M. Arsène Dumont a montré que, depuis quelques années, la natalité s’était relevée dans la commune d’Ouessant, qu’elle avait presque doublé dans les cantons de Lillebonne et d’Isigny. Cependant ces communes se dépeuplent. C’est que l’accroissement de la natalité est dû à celui de l’ivrognerie et du vice, ainsi que de l’imprévoyance. Les enfans sont malingres, le nombre des garçons diminue et la mortalité progresse encore plus rapidement que la natalité. On voit la complexité de ces problèmes.