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théâtre et nos romans. Le nombre des ouvrages purement littéraires qui ont été traduits en japonais est insignifiant. En revanche, la supériorité scientifique des Occidentaux est admise sans réserve. La science chinoise est convaincue d’erreur. Le premier ouvrage traduit du français fut un traité de chimie du baron Thénard. Depuis lors, le mouvement ne s’est plus arrêté. Le système métrique est officiellement adopté dans le pays. La physique, la chimie, les mathématiques, l’histoire naturelle figurent sur les programmes de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire. Des revues propagent ces connaissances et publient des travaux originaux. Tokio possède de remarquables observatoires (l’observatoire sismologique a été détruit par un incendie), plusieurs musées d’histoire naturelle et un jardin botanique bien aménagé. Cette diffusion des sciences initiera les Japonais à la méthode d’analyse et d’observation et devra donner à leur esprit la rigueur scientifique qui lui manque encore.

La curiosité des Japonais s’est étendue aux arts de l’Europe, L’art national gagnera-t-il à ce contact? On peut en douter. D’une part, son originalité propre tend à disparaître et la perfection des œuvres est en baisse. L’artiste, qui produit surtout pour l’exportation et qui est payé à la tâche, économise sur les matières qu’il emploie, sur sa peine et sur ses années d’apprentissage. Il se borne à copier les anciens et n’invente plus guère. L’exportateur, plus marchand qu’artiste, demande surtout la quantité: c’est le triomphe du trompe-l’œil. Pourtant quelques jeunes gens ont étudié dans nos écoles et s’approprient nos procédés. Les résultats, jusqu’à présent, ont été médiocres. Mais en sera-t-il toujours ainsi? L’application des principes de la perspective et de l’anatomie, par exemple, leur fera-t-elle perdre leurs qualités natives : le goût, la fantaisie, la finesse d’observation, le don d’harmoniser les couleurs et le sentiment de la nature ? Nous laissons à de plus compétens le soin de décider.

Nous ne dirons rien de la musique. Il ne semble pas, jusqu’à présent, que, sur ce point, les peuples de l’Europe aient rien de commun avec ceux de l’Extrême-Orient. Le gouvernement japonais a engagé d’excellens professeurs étrangers, qui ont, à force de patience, réussi à former des fanfares très acceptables. L’habileté acquise des exécutans peut faire illusion, mais le sentiment musical n’y est pas. La foule d’ailleurs continue à préférer la musique nationale.