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écrivait en 1889 : « Les officiers sont, par éducation et par tradition, d’un courage indiscutable; les soldats sont extrêmement durs à la fatigue, patiens, sobres, courageux, naturellement gais et insoucians ; bien dirigés, ils pourraient égaler les meilleurs soldats connus. » Il faisait toutefois ses réserves sur la discipline, qu’il jugeait médiocre, sur les services auxiliaires, insuffisamment agencés, et sur le commandement supérieur, pour lequel aucun chef n’avait alors fait ses preuves. Mais les espérances que concevait alors le distingué professeur ont été largement dépassées.

On devine aisément que la création d’une armée et d’une flotte modernes n’a pas été sans coûter gros aux Japonais. Mais du moins les sacrifices ainsi consentis ne Font pas été en pure perte. Et nous n’entendons pas parler ici des bénéfices encore problématiques qu’ils espèrent tirer de leur campagne contre la Chine. Ceux que nous avons en vue sont d’autre nature.

Tout d’abord l’idée de patrie s’est épurée en eux. Ils avaient été jusque-là les hommes d’un clan et d’un seigneur, comme au XIVe siècle on était Armagnac ou Bourguignon. Il a fallu au Japon la crainte de la domination étrangère pour qu’ils se sentissent Japonais. De jour en jour l’idée de clan, cette dernière trace du moyen âge, tend à disparaître. Au contact des officiers européens, ils sont en voie d’acquérir une autre qualité, l’esprit de discipline. Nous venons de dire qu’il y a encore à désirer de ce côté ; mais on le conçoit en se reportant aux traditions militaires du pays et aux origines de son armée et de sa marine. Les troupes des anciens daïmio ressemblaient fort à des bandes de routiers ou francs-tireurs. Quant à la marine, elle n’existait pas : pour s’attaquer les uns les autres, ils s’adressaient aux pirates qui tenaient en maîtres absolus la mer intérieure, et que les vaisseaux européens ne connaissaient que trop. Il a fallu infuser aux troupes de terre et de mer un esprit tout nouveau. Le progrès, de ce côté encore, est indéniable.

Les Japonais ont à un haut degré l’amour, ou plutôt la curiosité de la science. Cette curiosité, superficielle chez les gens du peuple, devient pour les jeunes gens de la bourgeoisie un mobile puissant qui les pousse à entreprendre par goût les plus hautes études. En tous cas elle est sincère chez tous et permet de déraciner des préjugés d’ailleurs peu tenaces pour y substituer assez facilement les idées occidentales.

A vrai dire, aucune littérature étrangère ne nous a paru les séduire (à l’exception de la littérature chinoise, bien entendu). Ceux-là seulement qui sont venus (en Europe goûtent notre