Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute en façade, un progrès plus apparent que réel, un trompe-l’œil habilement ménagé par le gouvernement? De pareilles assertions sont puériles. Tout indique, au contraire, que les Japonais, du haut en bas de l’échelle sociale, ont su profiter pour améliorer leur état matériel, seul en cause jusqu’à présent, de nos procédés, de nos méthodes et de nos instrumens. De 1879 à 1893, la surface des terres cultivées en céréales s’est accrue d’un dixième et le rendement moyen d’un huitième. La production du thé a augmenté d’un cinquième et celle de la soie a doublé dans la même période. Mêmes résultats dans l’industrie. Les mines de charbon, d’or, d’étain et de cuivre ont triplé leur rendement depuis 1882; celui du soufre a sextuplé, celui du pétrole a décuplé.

Les industries d’exportation se sont singulièrement développées; c’est ainsi que le Japon expédie aujourd’hui au dehors vingt fois plus de papier et presque cent fois plus d’étoffes de soie ou de coton qu’en 1877. Assurément les produits japonais commencent à faire concurrence aux produits similaires étrangers même en Europe. On a vu dans les expositions récentes, à Tokio par exemple, les fabricans japonais apporter quantité de marchandises à l’instar de Paris. Les touristes s’en plaignent ironiquement. Leur désillusion se conçoit : quarante-cinq jours de mer pour retrouver les contrefaçons imparfaites du Bon-Marché ou de la Belle-Jardinière ne sont pas pour mettre en belle humeur. Mais l’ironie est-elle de mise? Ces imitations manquent d’élégance, d’accord; mais elles suffisent aux gens du pays et, sans nous fermer absolument le marché indigène, elles on alimentent les trois quarts. Pour certains articles, comme la cristallerie, la parfumerie, les parapluies, la chaussure, les allumettes, l’importation étrangère a presque cessé, quoique la consommation s’accroisse. Pour d’autres, elle demeure stationnaire. Enfin le Japon exportait encore hier, en Corée, pour six à huit millions de savons, de couteaux, de parapluies, etc., c’est-à-dire de ces objets de nouvelle fabrication. C’est peu, sans doute, en soi; mais comme pronostic ces chiffres méritent l’attention.

Qu’il se rencontre un industriel européen assez osé et assez habile pour faire fabriquer au Japon, sous sa direction et à destination de l’Europe, quantité de ces objets que nous payons si cher; la place qu’il occuperait sur nos marchés pourrait causer plus d’une surprise. Les forêts du pays sont riches d’essences propres à l’industrie. L’ébéniste japonais n’a pas d’égal hors l’ouvrier français. Or, tandis que ce dernier gagne de 6 à 10 francs par jour, le Japonais se contente de 1 à 2 francs. Les charpentiers