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pour leurs membres les meilleurs, bourses pour leurs enfans. Il risquera même de se compromettre en demandant à Abd-el-Kader, au traité de la Tafna, 100 000 francs pour les chemins vicinaux de la Dordogne. Protectionniste décidé, il traite de songe-creux les économistes et redouterait davantage l’invasion permanente des bestiaux étrangers que l’invasion des armées russe et autrichienne. « En agriculture, s’écrie-t-il, tout est grand, le plus petit progrès est immense, car il se multiplie par 52 millions d’hectares et 18 millions d’agriculteurs. » Même sollicitude pour l’armée. Ne répand-elle pas d’une main ce qu’elle reçoit de l’autre? Ne fait-elle pas vivre une foule d’industries? Les garnisons ne donnent-elles pas la vie, l’activité à toutes les branches du commerce? Et sur ce terrain, qu’il s’agisse des traitemens des officiers, de pensions en faveur des veuves, du recrutement de l’armée, des fortifications de Paris, des places de guerre, de l’école de la Flèche, des conseils de révision, de l’enseignement de la gymnastique aux soldats, sa parole a toujours du retentissement, elle tombe de haut, elle est attendue avec impatience, écoutée presque toujours avec respect. Peu importe que son opinion soit ou non populaire : en 1840 il s’oppose énergiquement à ce que la France fasse la guerre à l’Europe pour Méhémet-Ali ; longtemps avant il lance cet avertissement prophétique : « On ne défend, ou l’on n’envahit les empires que par des batailles. La guerre va très vite, et, si la paix était troublée, vous n’auriez pas, comme au commencement de la Révolution française, le temps d’organiser des troupes. Je le répète, la guerre marche vite aujourd’hui, et il faut être en mesure dès le début de livrer des batailles avec des chances de les gagner. Une bataille gagnée donne à l’armée victorieuse des avantages immenses ; elle gagne habituellement un carré de soixante ou quatre-vingts lieues de côté. »

Principes politiques, conceptions militaires du général semblent résumés dans une lettre inédite, que Bugeaud communiqua à Romieu, puisqu’elle figure à son dossier, lettre vraiment éloquente à force de simplicité, de clarté, de patriotisme, de lucidité stratégique, dont il faut reproduire les principaux passages, malgré sa longueur, car elle est pleine de choses, fait comprendre la puissance de séduction de M. Thiers, et combien ceux qu’on appela les gazelles de cet homme d’État avaient de peine à sortir du cercle enchanté :