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LE MARÉCHAL BUGEAUD.

et qu’il met l’épée à la main. Faites-vous mouton et l’on vous tondra ; cet adage vaut celui de la reine Gillette… — Le gouvernement fait en grand ce que vous avez fait en petit. Voyez comme cela lui réussit ! Il ne tire aucun parti de ses victoires. Il est aujourd’hui aussi faible qu’avant les journées d’Avril. Le public commence à douter, malgré l’évidence des résultats, malgré la prospérité générale. Pourquoi ? C’est qu’on a manqué de fermeté ; c’est que personne n’a encore été puni ; c’est qu’aucun fonctionnaire n’a été destitué pour ses hostilités ouvertes. Aussi redoutent-ils plus de déplaire au journal bousingot qu’au gouvernement. Nos ministres ont beaucoup de talent de parole, beaucoup de savoir, mais ils ne savent pas manier le pouvoir. Sous ce rapport, un maître d’armes de régiment gouvernerait mieux qu’eux… (Lettre du 18 octobre 1834.) — On règne bien plus dans le monde par ses vices que par ses vertus ; c’est que les vices sont une force… — Des tempéramens, des ménagemens, de la souplesse, de l’adresse, oui, il en faut, mais en son temps, et ce qu’il faut le plus, c’est de la fermeté, de la force. Pourquoi Napoléon a-t-il été le souverain le mieux obéi ? C’est qu’on savait qu’il ne fléchirait pas devant les petites considérations, et qu’il serait inexorable pour l’hostilité et l’insubordination ?… Toutes ces sales lâchetés viennent de ce que l’on croyait de l’avenir et de la force à la République. C’est qu’il y avait derrière tout cela 6 ou 8 000 coquins armés. Il ne faut pas se brouiller avec ces puissances, attaquons le Roi et le juste milieu : s’ils sont vaincus, nous chanterons victoire et nous partagerons le gâteau ; s’ils triomphent, nous n’avons rien à en redouter. En résumé, on respecte la force, on se rallie à la force, on ne respecte pas la faiblesse, telles bonnes que soient ses intentions. Cela est vrai en gouvernement, en administration, comme en guerre… — Essayons donc de la barre de fer…


Voilà pour le ministère lorsqu’il verse dans la tolérance et le laisser faire ; et voici pour les Chambres qu’il ne ménage pas plus, où il voit intrigailler tant d’hommes qui ne valent pas ses bœufs, que dis-je ? les loups et les renards de la Durantie :


La Chambre passée était un mauvais plat fait avec de bons comestibles. (Lettre du 30 août 1837.) Espérons que des élections prochaines il sortira quelque chose de plus net, mais non pas de plus avancé dans le progrrrrès[sic]. Vous savez que j’appelle progrès deux épis, deux moutons, deux bœufs pour un. Vous voyez comme moi, et chaque jour vient prouver que nous avons du bon sens…

L’esprit public me paraît se gâter ; l’anarchie de la Chambre (janvier 1839) passe dans les esprits, il circule une foule d’idées fausses : le Roi envoie de l’argent à l’étranger, il ne fait pas de dépenses, et c’est la cause de la stagnation du commerce. C’est aussi la faute du gouvernement si le pain est cher, le Roi veut nous ramener au despotisme, etc. — On me raconta l’autre jour que, sous la Restauration, le comte de Marcellus s’étant avisé de proposer à la Chambre de placer, au-dessus de la tribune, le Christ comme témoignage de respect, de justice et de foi, le comte Beugnot demanda la parole et dit : « Je viens appuyer la proposition, et j’y ajouterai même un amendement qui sera de circonstance ici : je prie la Chambre de faire inscrire en lettres d’or, aux pieds du Sauveur, ces paroles de grâce qu’il adresse, en mourant, à Dieu : « Pardonnez-leur, mon père, car ils ne savent ni ce qu’ils font ni ce qu’ils disent. »