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point qui ne saurait faire question. Il y va du bon renom de l’Algérie et de la France elle-même.


III

Nous avons dressé le bilan du passé. L’impression qui se dégage des faits, c’est que l’administration s’est montrée impuissante à défendre les intérêts généraux dans une lutte où les intérêts particuliers apportaient tant d’âpres convoitises. Mais il faut bien reconnaître que la législation existante ne lui fournissait peut-être pas des armes suffisantes. Si elle avait pu considérer les exploitations de phosphate comme des exploitations minières, certes les armes ne lui eussent point manqué. De bonne foi, on ne saurait lui reprocher de ne pas s’en être tenue à cette manière de voir. A vrai dire, celle-ci semble parfaitement conciliable avec les textes mêmes de notre législation minière. La loi organique des mines[1] laisse au chef de l’État le soin de fixer souverainement le caractère et, parlant, le régime, qui conviennent à une exploitation ; c’est à lui, et à lui seul, qu’il appartient légalement de résoudre la question de savoir si telle exploitation doit rester dans la classe des carrières ou passer dans celle des mines[2].

Au point de vue purement légal, la question pouvait donc sembler entière en ce qui concerne les exploitations de Tébessa.

Mais, dès qu’on ne se borne point au simple examen des textes, on est vite convaincu que l’administration locale ne pouvait songer à l’application du régime des mines. Depuis longtemps, en effet, la jurisprudence du service compétent a précisé les règles que le législateur

  1. La loi du 21 avril 1810.
  2. Il n’est pas sans intérêt d’indiquer qu’à propos même des exploitations de phosphate de chaux, le principe a été très nettement affirmé par le Conseil d’État. Un sieur A… avait formé une demande en concession de mine, relative à l’exploitation d’un gisement de phosphate de chaux qu’il avait découvert. Transmise au ministre des Travaux publics, cette demande fut rejetée par lui à raison de ce motif que le phosphate de chaux n’est point une substance concessible. Cette décision, manifestement dictée par la jurisprudence du service des mines, fut frappée d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Celui-ci, par arrêt du 24 janvier 1872, n’hésita point à annuler la décision qu’on lui déférait. Voici les considérans de son arrêt :
    « Vu la loi du 21 avril 1810 ; — considérant qu’aux termes de l’article 28 de cette loi, il doit être statué sur les demandes en concession de mines par décret rendu en Conseil d’État ; qu’il suit de là que c’est à la même autorité, prononçant dans les mêmes formes, qu’il appartient d’accorder ou de refuser une concession, après avoir apprécié toutes les circonstances de l’affaire et notamment la question de savoir si la substance dont la concession est demandée rentre dans la catégorie des substances concessibles ; — qu’en conséquence, en rejetant la demande de concession formée par le sieur A… le ministre des Travaux publics a excédé ses pouvoirs ; — Art. 1. Est annulée, pour excès de pouvoir, la décision, en date du 13 janvier 1870, par laquelle le ministre des Travaux publics a rejeté la demande en concession d’un gite de phosphate de chaux formée par le sieur A… »