Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme l’a très bien indiqué M. Cambon, les questions algériennes sont si variées et si complexes qu’elles ne se présentent pas toujours avec une netteté parfaite aux yeux des autorités administratives appelées à les trancher. Il en résulte que celles-ci se peuvent aisément méprendre sur la voie légale dans laquelle il convient d’entrer pour les résoudre. Tel paraît avoir été le cas pour les concessions de Tébessa. Sans doute, de par la jurisprudence administrative établie dans la métropole, il fallait bien, nous l’expliquerons, voir de simples carrières dans les exploitations dont il s’agissait. Mais, partant de ce point de départ que les gisemens à exploiter se trouvaient dans des communaux appartenant à la commune mixte de Morsott, la préfecture de Constantine a pensé que la délivrance des concessions demandées se présentait comme une question purement communale. En conséquence, elle a estimé que, sauf son approbation ultérieure, c’était à la commission municipale qu’il appartenait de statuer[1].

Or, il est aujourd’hui démontré que les terrains, contenant les gisemens concédés, ne sont nullement des communaux dépendant de la commune mixte de Morsott, mais bien des territoires de parcours appartenant à des douars rattachés à cette commune. Dans ces conditions, la voie légale à suivre, pour l’obtention des concessions, était sensiblement différente. Il eût fallu réunir et consulter la djema[2] du douar intéressé. En outre, les concessions ne pouvaient devenir définitives sans l’intervention du gouverneur général ou, dans certains cas, du chef de l’État lui-même[3].

Je n’insiste pas davantage sur ces questions de légalité pure. Elles seront débattues, sans doute, devant les tribunaux compétens. J’en ai dit assez pour indiquer que, même en considérant comme désirable l’annulation ou tout au moins la révision des concessions accordées, mieux eût valu peut-être s’en tenir uniquement à une critique sévère de leur légalité. On n’eût pas, à coup sûr, inutilement déchaîné les scandales, les suspicions et les haines qu’on va nécessairement soulever dans la voie où l’indignation du Sénat semble avoir engagé le gouvernement.

Au reste, à quelque point de vue qu’elle parût s’imposer, l’annulation des concessions ne pourrait être prononcée sans qu’on se préoccupât de sauvegarder les intérêts légitimes de tous ceux qui ont dû croire à la régularité des titres, sur la foi desquels ils ont apporté à l’Algérie le concours de leur industrie et de leurs capitaux. C’est là un

  1. J’ai déjà indiqué que, dans les communes mixtes, la commission municipale remplace le conseil municipal.
  2. La djema joue, dans les douars, le rôle que les commissions syndicales sont parfois appelées à jouer dans les sections de commune en France. Elle comprend l’adjoint indigène ou caïd et huit à douze notables indigènes désignés par l’administration.
  3. Voyez, sur tous ces points, les articles 17 et suivans du décret du 23 mai 1863.