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des industriels qui garantissent les honnêtes gens contre les voleurs, il s’en trouve qui garantissent les voleurs contre les hasards de leurs opérations. Les contrebandiers ont eu des assureurs, les braconniers en ont encore.

L’assurance contre le brigandage, sous forme de prime versée aux brigands, fut d’un usage constant au moyen âge. Elle se généralisa même sur notre territoire au milieu de la guerre de Cent ans. Lorsque la Bretagne fut réunie à la couronne, au XVIe siècle, il s’y percevait, sous le nom de « droit de bris », une assurance payée au duc par les caboteurs pour s’affranchir du pillage légal qui attendait leur navire s’il venait à être jeté sur les côtes par la tempête. Pour atténuer partiellement les désastres du feu, on édictait, en quelques provinces, une mutualité singulière : quand un Alsacien de l’époque féodale était victime d’un incendie, tous les habitans de son village devaient l’aider à relever sa maison. L’un d’eux s’y refusait-il, l’incendié avait le droit de s’installer chez lui et de l’expulser de sa propre demeure. On était plus avancé sous le rapport des assurances maritimes, bien qu’elles demeurassent très coûteuses, et qu’un banquier du XVIIe siècle dise que « ce sont le plus souvent des procès et non des effets certains. »

Quant à cet ensemble de contrats aujourd’hui connus, faute d’une appellation meilleure, sous le nom d’ « assurances sur la vie », bien qu’ils n’aient pas la prétention de prolonger l’existence, plusieurs d’entre eux furent dès longtemps en usage d’homme à homme. Tel négociant du XIVe siècle assurait pour six mois la vie d’un chevalier. En cas de décès de l’assuré pendant ce délai, ses héritiers devaient recevoir de l’assureur une somme fixée à l’avance. Dès 1550 fonctionnaient en Flandre, et surtout en Italie, les assurances dotales, dont les « monts-de-piété » se chargeaient : « Celui qui a une fille, dit un contemporain de Charles. IX, dépose 100 écus le jour de sa naissance, à la charge d’en recevoir 1 000 pour la marier quand elle aura 18 ans. Si elle meurt auparavant, les 100 écus sont acquis au mont-de-piété. » Quelque élevé que fût alors le taux de l’intérêt — environ 8 pour 100 — par le jeu duquel il était possible aux banques de quintupler en dix-huit ans la somme originairement reçue, le succès de l’opération reposait avant tout sur l’excessive mortalité infantile d’autrefois ; de sorte qu’il y avait là plutôt un germe de tontine, ou de loterie funèbre, que d’assurance véritable.

Or la tontine, introduite en France sous Mazarin et baptisée ainsi du nom de l’importateur napolitain Lorenzo Tonti, était tout justement le contraire de notre mécanisme contemporain,