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créateur sacrifié, vous ne verrez jamais un centime, — puisqu’elle ne naîtra que par votre mort, — qu’il ne fallait de désintéressement pour accumuler dans ses propres mains une épargne dont on avait la satisfaction de jouir tout le premier, avant de la transmettre à ses successeurs. Cette thésaurisation altruiste revêt le caractère collectif que le temps actuel imprime à ses principales créations. Il se dit aujourd’hui bien des choses folles, mais il se fait bien des choses sages, sans que l’on puisse d’ailleurs apprécier exactement le rapport des premières avec les secondes. A côté du collectivisme obligatoire, qui demeure utopie, s’établit lentement une sorte de collectivisme volontaire. Atome par atome, le monde moderne accomplit sa transformation, insoucieux de ceux qui le voudraient pousser en avant comme de ceux qui s’efforcent de le retenir en arrière.

Qui se serait avisé par exemple, à l’origine des assurances sur la vie, que cette institution pût servir d’instrument au nivellement social ? Depuis la baisse récente du taux de l’intérêt, qui rend difficile l’épargne personnelle, les compagnies se trouvent sollicitées de changer des capitaux en revenus, dans leur rayon de « rentes viagères », presque autant que de transmuer des économies en capitaux. Elles détruisent des fortunes d’une main et en construisent de l’autre, vaporisent des lingots ou cristallisent des parcelles de métal. Le capital parfois se dissout en même temps qu’il se forme, lorsqu’il s’agit de « rentes viagères différées », lorsqu’un individu s’assure, par des versemens annuels, un revenu dont il aura la jouissance à partir d’un âge déterminé. Ainsi l’assurance, multipliant l’instabilité naturelle de la propriété, facilite à la fois la constitution de richesses qui n’existent pas encore et la dispersion de richesses qui demain n’existeront plus.


I

Quelles que soient les combinaisons multiples qu’elle ait inventées, elle n’exploite encore qu’un petit coin de son vaste domaine, en France du moins, et nous le verrons tout à l’heure. Le principe a certes reçu bon nombre d’applications : les assurances contre l’incendie, contre les risques des transports maritimes ou terrestres, contre les accidens, contre la grêle et la mortalité du bétail, sont là pour en témoigner. Il est susceptible d’en recevoir encore beaucoup d’autres, qui toutes ne sont pas également recommandables. Car s’il existe des assurances contre la casse de divers objets, ou contre le vol et le cambriolage, à côté