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épouse, qui, bien entendu, n’est coupable que d’apparence, tout cela n’est pas de la vie anglaise ni même de l’humour anglais. Dans Dandy Dick et dans le Hobby-horse, je trouve, avec des incidens fantastiques, de fines et curieuses échappées sur la vie de province, la société ecclésiastique, le monde des courses et ceux qui y vivent, y compris un type assez étrange de centauresse, de femme-jockey que M. Pineron a certainement pas emprunté à notre répertoire. Il y a vraiment beaucoup de traits brillans, d’ingénieuse invention, de réelle gaîté et aussi d’heureuse prestesse à conduire l’intrigue dans The Times et dans le Cabinet Minister. J’ai relu plusieurs fois ces deux pièces, et je les trouve amusantes dans leur exagération voulue. Mais quand j’y regarde de tout près, je me demande si la phase de l’évolution sociale que nous traversons est bien celle que raille l’auteur et si ses caricatures ne sont pas en retard d’une ou deux générations. Et il en est toujours ainsi. En matière de satire, c’est le journal qui fraye la route ; le roman y passe après lui ; le théâtre ne vient qu’à une longue distance. Les mœurs qu’il décrit ont souvent cessé d’exister ; les types qu’il présente ont déjà disparu ou se sont modifiés. Nous rions d’Egerton Bompas, le marchand de nouveautés, qui veut marier sa fille à un pair d’Angleterre et de Joseph Lebanon, le courtier véreux qui, par l’intermédiaire de sa sœur, la modiste femme du monde, rêve d’être invité à une shooting party dans un château des Highlands. Mais nous savons bien qu’aujourd’hui les termes de la question sont renversés. Ce sont les pairs d’Angleterre qui recherchent l’alliance de Bompas et, au lieu de trembler devant eux au Parlement, il leur impose son programme politique et social, lequel consiste à détourner sur la Terre, qui n’en peut mais, l’orage formé contre le Capital. M. Joseph Lebanon n’accepte pas d’invitations : il en fait. C’est lui qui donne à chasser aux plus nobles fusils du royaume ; il prête sa maison aux « danses » de l’aristocratie, et, s’il n’y paraît pas, c’est par dédain. Si on le distingue de ses nouveaux camarades, c’est au soin avec lequel il aspire ses h, à la pureté de ses principes en matière d’étiquette, de toilette, de cheval et de mangeaille. Et puis, s’il faisait des solécismes, on les trouverait charmans. La seule incorrection qu’on ne lui pardonnerait pas, ce serait la faillite, — et il n’a garde !

J’ai donc peur que les comédies de M. Pinero, quoique très agréables, ne fussent déjà un peu vieilles quand elles sont venues au monde. Elles ont beau être vêtues à la dernière mode : elles laissent deviner leur âge, surtout si on les compare à ce premier acte des Crusaders, où la satire est si vivante et si moderne !