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II

Les débuts de Henry-Arthur Jones n’ont pas été moins difficiles que ceux de Sydney Grundy. On n’accepta de lui, d’abord, que des œuvres courtes et légères. La première de ses pièces dont les playgoers londoniens se souviennent fut représentée au Court Theatre et s’appelait : A clerical error. J’ai vu jouer la seconde il y a plus de vingt ans : c’était une idylle en deux petits actes intitulée : An old Master. Le jeune auteur fut obligé, lui aussi, de demander un asile aux scènes provinciales. Le monde continuait à ne pas vouloir apprendre ce nom, d’ailleurs un peu banal et qui glisse facilement de la mémoire. Lorsque le pénétrant M. Archer le comprit, en 1882, parmi ses Dramatists of today, beaucoup de gens demandaient « qui était M. Jones. »

C’est alors qu’il composa des mélodrames. Il servit sept ans chez Laban et épousa Lia, soutenu par l’espoir d’avoir un jour Rachel. Ce fut son apprentissage. Comme Sydney Grundy avait étudié son métier en adaptant nos auteurs français, Arthur Jones, apprit le sien en écrivant de gros drames populaires. C’est là, dans un genre qui donne toute licence à l’imagination, qu’il connut son propre tempérament et développa, pour en faire un meilleur usage, ses facultés poétiques ; c’est parce sentier inattendu qu’il a retrouvé la route des émotions shakspeariennes. Ses qualités et ses défauts datent de ce temps.

Le grand succès de Silver King rendit à Henry-Arthur Jones sa liberté. Je n’ai ni vu ni lu la pièce, qui n’est point imprimée : c’est, paraît-il, un « bon mélodrame. » On y voyait, avec des types de coquins qui n’avaient pas encore servi et des coups de théâtre empruntés aux circonstances de la vie moderne, de la gaîté, de l’observation, une rare franchise de touche, quelques traits vraiment touchans et, çà et là, des éclairs d’imagination et de poésie.

C’est alors que M. Jones crut pouvoir faire un pas de plus et se contenter lui-même après avoir servi les goûts du public. Il écrivit Saints and Sinners. Le petit théâtre de Margate eut la primeur de l’œuvre inédite en septembre 1884 : cette fausse première n’avait pour but que d’aguerrir les comédiens et de ta ter le public. La pièce passa de là au Vaudeville, où elle tint l’affiche jusqu’au milieu de l’année suivante, très critiquée et très applaudie. Elle est importante non seulement dans la carrière de M. Jones, mais dans l’histoire du théâtre anglais. Elle marque la reprise des hostilités actives dans cette vieille lutte entre les puritains et le drame, qui a commencé en 1580 et qui durera aussi