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explications qui nous missent à même de juger et d’apprécier ses dispositions. Jusqu’à présent M. de Polignac, qui a cherché deux fois à en entretenir M. Canning, n’ayant pu obtenir de ce ministre aucune réponse dont nous puissions tirer d’induction précise, je viens de l’inviter à tenter à cet égard une nouvelle démarche. J’aurai soin de vous en faire connaître le résultat. Je ne dois pas vous dissimuler toutefois qu’il me paraît difficile de s’en promettre un succès complet, peut-être même satisfaisant.

Ce que nous éprouvons pour nos établissemens de Madagascar ne saurait être, à mon avis, l’objet d’une négociation avec le gouvernement anglais, qui, se renfermant dans la lettre des traités, et se fondant sur leur exécution en ce qu’il prétendrait le concerner, déclinera toute espèce de discussion qui tendrait à éclairer la conduite mystérieuse de ses agens et à justifier nos réclamations.

Je n’hésite pas plus que vous à croire que la conduite actuelle des chefs de l’île ne soit l’effet des manœuvres et de l’influence des agens anglais ; mais à tout ce que nous pouvons alléguer à cet égard, il n’est pas douteux que le cabinet britannique opposera ses instructions officielles et les rapports des autorités de Maurice, et qu’en nous laissant ostensiblement maîtres d’y pourvoir, il rejettera sur les insulaires les obstacles que nous éprouvons.

Les vues mêmes que vous supposez à ce gouvernement, et qui ne sont que trop conformes à sa politique ordinaire, confirment ces appréhensions. Lors même que, ainsi que vous paraissez le désirer, nous obtiendrions de l’administration de Maurice une déclaration formelle constatant la reconnaissance de nos droits, les inconvéniens ne cesseraient pas d’être les mêmes. Les intrigues dont nous sommes fondés à nous plaindre ne tiennent point au défaut de reconnaissance de nos droits, l’Angleterre ne les conteste point ; les intérêts auxquels ces intrigues se rattachent n’en existeraient pas moins et n’en auraient pas moins d’activité…

Il serait donc à désirer que, pour lutter d’influence avec l’Angleterre, nos agens pussent employer des moyens analogues à ceux dont elle fait usage, appropriés aux mœurs, aux intérêts et aux besoins des insulaires et aux dispositions de leurs chefs. Le succès dépendrait de l’activité et de l’intelligence de ces agens, de leur habileté à se créer des relations dans le pays, à y faire naître parmi les habitans des idées de confiance et de considération en faveur de la France[1].


On ne pouvait d’une façon plus fine dire aux agens français : Récriminez moins contre les Anglais, imitez-les !

La réponse du gouvernement anglais fut de tout point conforme à ce qu’avait prévu Chateaubriand, et le 19 août 1824, M. Canning, ministre de Sa Majesté Britannique, remettait à notre ambassadeur le mémorandum suivant, qui semblait en effet traiter la question sur un ton bien dégagé, et comme si le ministre anglais, n’ayant qu’une connaissance assez vague de ce qui se passait à Madagascar, eût professé d’ailleurs sur cette question un désintéressement presque complet :


Le 6 décembre dernier, disait-il, Son Excellence le prince de Polignac a

  1. Archives coloniales. Carton Madagascar, 1824.