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y serait donnée. Je passai chez M. le Comte de Paris pour l’informer, et je lui promis, aussitôt que je saurais ce que contenait la lettre, de venir le lui communiquer. Je me rendis ensuite rue de Labaume. J’assistai à l’arrivée de M. Chesnelong, à la lecture qu’il fit d’une voix émue de cette lettre historique, et j’entendis sortir de sa bouche ce cri éloquent, arraché par la pensée que l’exactitude de sa relation pourrait être injustement mise en question : « J’en appelle au Roi, et, si le Roi me manquait, j’en appellerais du Roi à Dieu. » Mais je ne pouvais m’attarder à recueillir les impressions des membres de cette réunion à laquelle assistaient les plus dévoués partisans de M. le Comte de Chambord. J’avais une mission à remplir. Ne voulant pas prendre sur moi de résumer un document aussi important, je priai M. Chesnelong de vouloir bien me confier la lettre elle-même, et je demandai si quelqu’un de mes collègues de la droite voulait m’accompagner auprès de M. le Comte de Paris. Personne ne s’offrit. Je repris donc seul le chemin de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. En montant l’escalier, j’entendis le son d’un piano. Mme la Comtesse de Paris chantait, et sa voix, fort étendue, arriva jusqu’à moi. J’hésitai un instant à la porte avant de troubler par mon arrivée cette paisible scène. J’entrai cependant. « Eh bien ! me dit le prince avec vivacité. — Lisez, Monseigneur, » répondis-je en lui tendant le papier que j’avais à la main. M. le Comte de Paris commença la lecture de la lettre d’une voix ferme et posée ; il continua jusqu’à la fin, sans que son visage s’altérât. Il n’en l’ut pas de même de Mmo la Comtesse de Paris. Elle avait entendu le commencement de la lecture avec une physionomie animée. Peu à peu ses traits se détendirent ; sa tête retomba sur sa poitrine, et elle finit par cacher sa figure dans ses mains. Je ne me rappelle plus exactement les paroles que nous échangeâmes, mais on comprendra que de la scène elle-même j’aie conservé un mélancolique et inoubliable souvenir.


IV

M. le Comte de Paris vécut dans une retraite politique absolue durant les dix années qui séparèrent l’échec de la tentative monarchique de 1873 et la mort de M. le Comte de Chambord. Il estimait que la question du drapeau opposait un obstacle momentané, mais insurmontable, à l’établissement de la monarchie. Suivant lui, il n’y avait rien à faire qu’à attendre, en se garant du radicalisme et de l’empire. Aussi n’eut-il aucune parole de désapprobation pour ceux qui crurent pouvoir et devoir, avec la