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RACHETÉ

PREMIERE PARTIE

I

Le Dnieper et la Duna, parallèles entre eux dans la partie supérieure de leurs cours, divergent ensuite : le premier, en sortant d’Orcha, se dirige au sud ; l’autre, au delà de Vitebsk, tend vers le nord. Les deux fleuves ouvrent ainsi dans la plaine russe un large débouché que barre seulement le cours de la Bérésina. C’est par cette issue que Napoléon devait s’échapper, c’est cet obstacle qu’il allait franchir au mois de novembre 1812. Ignorant encore l’extrémité de sa situation, il avait quitté Smolensk et marchait à l’ouest. Or Wittgenstein, posté en avant sur sa droite, pouvait descendre et couper sa retraite ; ses propres colonnes se sentaient harcelées en queue par les limiers de Koutousof, vieux piqueur somnolent et têtu qui, sachant la bête blessée à mort, la regardait s’enfuir et priait Dieu. Tchitchagof enfin, sentinelle sans consigne et qui demandait un mot d’ordre, gardait la route même du retour et montait sa faction devant la grande porte stratégique. La citadelle de Minsk était la clef de cette porte : il la tenait. Prise dans ce triangle insoluble, cette foule française, ruine d’une grande armée, semblait irrémédiablement perdue : la volonté de quelques hommes allait pourtant la contenir, la rassembler devant le danger, la lancer outre, et la mener mourir ailleurs.

Au sortir même de Smolensk, la poursuite de Koutousof se prononça plus vivement. Il fallut s’arrêter, faire face, découdre