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donner le change sur ses convictions. Il accorde une très grande place dans ses leçons aux questions religieuses; il témoigne toujours au christianisme un tendre respect, mais partout éclate son absolue indépendance à l’égard du dogme. Il en parle en historien, en philosophe, jamais en croyant. Qu’on en juge par ce passage, le plus précis de tous comme affirmation religieuse :


Une religion bien plus mystérieuse, bien plus profonde, croissait invisible, et devait les remplacer toutes. Ici encore nous trouvons le culte de la vie et de la mort, c’est l’enseignement commun des religions de l’Orient; mais il y a de grandes différences. Ici, c’est un Dieu qui meurt volontairement pour l’homme; ce n’est pas ce Dieu multiple. Dieu actif et passif à la fois, ce Dieu indifférent du panthéisme ; et si la Grèce avait accompli un immense progrès, en donnant à ses Dieux la perfection de la beauté humaine, combien est-ce un progrès plus grand, d’avoir élevé la divinité à la perfection morale de l’homme et d’avoir fait de la divinité, non pas le lien commun de la nature matérielle, mais un type de toute perfection ! Le genre humain tomba à genoux, et, sauf les interprétations que la science peut donner, il doit y rester toujours. « La science, a dit saint Clément d’Alexandrie, c’est la démonstration de la Foi. » Nous retournerons la proposition et nous dirons : « La Foi, c’est la science à démontrer. »


Le vendredi 4 juillet 1830, il commentait ces paroles en ces termes :


Cette pensée de saint Clément a besoin d’explication et de développement : démontrer la foi par la science est aussi l’une des vocations de notre siècle et ce serait bien certainement le plus bel emploi de la science qu’une démonstration libérale des croyances religieuses que nous inspire le christianisme. Toute foi raisonnable sort de l’instinct naturel; ce n’est que de cette manière que l’on peut entendre la foi. Prenons un exemple : le christianisme a consacré de très bonne heure la croyance à la mère de Dieu, et toutes les nations barbares ont accueilli avec admiration et enthousiasme cette admirable poésie qui divinise à la fois la maternité et la virginité. C’est qu’il y a dans le cœur de l’homme un instinct naturel du rôle élevé auquel la femme est appelée dans le monde... L’exaltation des peuples de race germanique pour la raison froide des femmes du Nord a été la trame sur laquelle le christianisme a tissu cette poésie, cette histoire, cette philosophie, car les trois noms lui conviennent également. Ainsi la foi naît toujours d’un instinct naturel. C’est le commencement, c’est la poésie. Voyons la science.

La science consiste à montrer comment la foi est sortie d’un instinct naturel, car ce qui est conforme à la nature est ce qui est juste, et quand la philosophie ne justifierait pas la foi, il ne faudrait pas encore condamner la foi. L’adhésion du monde entier pendant l’imposant espace de deux mille ans ne peut venir d’une erreur passagère : on conçoit à peine une erreur qui vive deux mille ans. Le temps est venu où la science s’agrandissant de jour en jour s’appliquera à la foi comme explication, comme justification.