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mot me servir pour caractériser une telle manière d’enseigner ! Ce n’était rien de l’enseignement magistral d’un Guizot. Ce n’était pas non plus l’improvisation puissante et méditée d’un Cousin... C’était la vision improvisée d’une réalité qu’il nous remettait sous les yeux, vision dans toute la force du mot, dans laquelle son charmant esprit semait de fins aperçus les palpitans récits qui sortaient de sa forte imagination[1]. » M. Jules Simon, qui fut élève de Michelet cinq ans plus tard, parle avec admiration « de cette langue si pure et si familière, qui s’élevait si haut quand il le fallait, qui s’abaissait aux détails les plus simples sans jamais devenir vulgaire, qui souvent laissait deviner plus qu’elle ne disait, hardie comme sa pensée, et pourtant correcte, ornée, comme il convenait à une conversation d’École normale, de citations grecques et latines, sans ombre de pédanterie[2]. »


I

Quand Mgr Frayssinous entreprit en 1826 de rétablir par un moyen détourné l’Ecole normale supprimée en 1822, — en fermant les écoles préparatoires de province et en créant au collège Louis-le-Grand une école préparatoire recrutée parmi les élèves les plus brillans des collèges royaux désignés par les recteurs, — il fixa à deux ans seulement la durée des études, réduisit au strict minimum le nombre des professeurs, et décida de remettre à un même maître l’enseignement de la philosophie et celui de l’histoire. Michelet fut chargé de cette double fonction. Ce choix peut nous paraître singulier, à nous qui voyons surtout en Michelet l’auteur de l’Histoire romaine et de l’Histoire de France. Il ne surprit personne en 1827, et Michelet moins que tout autre. Il paraissait désigné par ses études et par la tournure même de son esprit à faire marcher de front les deux enseignemens. Ses thèses de doctorat, soutenues en 1819, avaient pour sujets les Vies de Plutarque et l’idée de l’infini d’après Locke. Pendant les années qui suivent on le voit s’occuper surtout de philosophie, à côté des études grecques et latines qu’il poursuit en vue de l’agrégation, et de ses cours de lettres à l’institution Briand. Il lit Laromiguière, Aristote, Condillac, De Gérando, Dugald-Stewart. A l’agrégation des lettres, où il est reçu le 21 septembre 1821, c’est surtout en philosophie qu’il brille, et M. Victor Leclerc veut le faire

  1. Figaro du samedi 22 juillet 1882.
  2. Notice lue à l’Académie des sciences morales et politiques, le 4 décembre 1886, et réimprimée dans le volume intitulé : Mignet, Michelet, Henri Martin.