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L’Église russe, en réalité, ne jouit plus de sa pleine liberté, à laquelle elle a droit, de droit divin. Mais l’État, en la lui rendant, ferait œuvre politique fort sage : à l’intérieur, il enlèverait par là tout prétexte au raskol, tandis qu’à l’extérieur il se concilierait les sympathies du monde catholique. La réconciliation avec Rome ne ferait que rétablir en Russie l’équilibre rompu par Pierre le Grand.

Cette réconciliation est dans la nature des choses, et il ne faut pas être grand prophète pour prédire qu’elle se fera un jour. Quand se fera-t-elle? Très prochainement? Non. Mais peut-être plus tôt que beaucoup ne se le figuraient jusqu’ici. Car un mur impénétrable paraissait se dresser entre la Russie et nous. Les circonstances actuelles sont favorables aux premiers pas vers l’union. M’avancerai-je trop en disant que ces premiers pas sont déjà faits? Rappelons-nous les progrès notables accomplis dans les relations diplomatiques entre Rome et Saint-Pétersbourg, durant le règne du monarque si regretté qui vient de disparaître.

L’union des cœurs entre Russes et Français n’est-elle pas un second indice? Et pour passer à un ordre d’idées moins général, mais non moins caractéristique, n’avons-nous pas vu, dans ces derniers temps, le Père Vannutelli d’abord, puis le Père Tondini, enfin un évoque français, Mgr Jourdan de la Passardière, circuler librement dans toute la Russie et y séjourner, y avoir les meilleures relations avec les personnages ecclésiastiques et civils les plus en vue, y parler de l’union sans offusquer personne ? Ce sont là, à notre humble avis, des signes précurseurs d’une union future aussi désirable pour la Russie que pour l’Eglise romaine.

Mais, en tête des circonstances favorables à l’union, il faut évidemment placer les dispositions si larges et conciliantes du grand pontife qui gouverne actuellement l’Eglise. La Russie est certaine de trouver en Léon XIII la plus grande condescendance. Et si le présent ne la rassurait pas suffisamment quant à l’avenir, l’histoire ne lui apprendrait-elle pas combien les Papes ont toujours scrupuleusement observé les clauses des concordats signés par leurs prédécesseurs?

Mais, nous dira-t-on peut-être, en admettant même que le gouvernement russe vît de bon œil la perspective d’une union avec le siège apostolique, comment amener l’Eglise russe entière à admettre cette union, imbue, comme elle l’est encore en majorité, de préjugés séculaires contre Rome?

Ce serait ici, sans aucun doute, le cas de se souvenir de la parole de Notre-Seigneur : « Ce qui semble impossible aux hommes est possible à Dieu. » Il tient entre ses mains miséricordieuses et puissantes les cœurs de ceux qui dirigent les peuples,