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Un devoir inattendu, une petite fille abandonnée qu’il recueille, achève son retour à la vie morale. — Adam Bede, ouvrier charpentier, aime une jeune paysanne coquette, pas méchante, mais qui, de faiblesse en faiblesse, en vient à se laisser séduire par un gentilhomme campagnard et, devenue mère, étouffe son nouveau-né. C’est donc la vieille histoire de Gretchen. Adam pardonne à la coupable et, déjà bon auparavant, il devient excellent par la douleur. — De même, le Moulin sur la Floss, c’est l’histoire de deux enfans, Tom et Maggie, l’un d’une honnêteté un peu dure, l’autre d’une sensibilité un peu désordonnée, que la ruine complète de leurs parens surprend au moment de l’adolescence, et que l’épreuve de la souffrance fortifie et rend meilleurs. — Et Middlemarch, c’est la vie, minutieusement contée, — oh! combien minutieusement! — d’une grande âme dans une condition médiocre, d’une âme que l’on sent d’autant plus grande qu’elle n’a pas eu tout son emploi.

Ce qui frappe dans ces romans, qui sont tous des histoires de conscience, c’est la constante préoccupation morale dont ils sont marqués à chaque page, et c’est la sympathie cordiale et attentive de l’auteur pour les formes les plus modestes et les plus ordinaires de la vie humaine.

Or, ce second caractère tout au moins, pour ne retenir maintenant que celui-là, se retrouve évidemment, et avec une plénitude qui ne laisse rien à désirer, dans une partie considérable de l’œuvre de George Sand.

Je dis « évidemment ». Si cela ne vous apparaît pas, à vous, avec la même évidence, qu’y puis-je? Oui, j’affirme et je juge, et je prends cela sur moi, et j’y suis bien obligé. Un jugement, c’est une impression contrôlée et éclairée, chez le même homme, par des impressions antécédentes. Et un jugement qui « fait autorité », c’est celui qui résume et contient les impressions concordantes d’un certain nombre d’individus. Il est bien vrai que l’impression d’un seul peut, par la confiance que sa personne inspire ou l’ascendant qu’elle exerce, commander et entraîner la masse des esprits qui ont avec le sien quelque ressemblance. Mais, il n’y a pas à dire, tout commence par l’impression qu’un individu reçoit d’une œuvre; — et naturellement, je ne puis vous donner ici que la mienne.

Donc je poursuis avec une tranquillité modeste. Relisez la Mare au Diable, la Petite Fadette, François le Champi, le Meunier d’Angibault. Il y a sans doute autant de bonhomie robuste et charmante, autant de goût pour la vie simple et les détails familiers, autant de complaisance et d’art à nous faire sentir, quelle