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imprudence souveraine de supprimer ou même de ralentir l’amortissement, grâce auquel les Compagnies remboursent tous les ans une fraction de leurs actions et de leurs obligations[1].

L’amortissement obligatoire de leur capital que pratiquent les compagnies est un des argumens les plus forts qu’il convient d’opposer aux projets de rachat par l’État. Celui-ci céderait bien vite à la tentation de se borner à servir les intérêts du capital sans continuer à le rembourser, et de transformer une rente amortissable en rente perpétuelle. Nous n’avons pas besoin d’en chercher la preuve bien loin. Le 7 juillet 1894, MM. André Lebon et Disleau, députés, ont déposé à la Chambre une proposition de résolution tendant au rachat par l’État du réseau de chemin de fer de la compagnie d’Orléans. Le seul moyen qu’ils ont trouvé de présenter cette combinaison comme devant soulager nos budgets est la remise aux porteurs actuels d’obligations d’Orléans, en échange de leurs titres, d’une rente perpétuelle 3 pour 100 ! Ils obtiennent ainsi une économie annuelle apparente de 18 millions, mais au prix d’une addition de 1 400 millions au capital de notre dette publique. Le Parlement jugera sans doute que la compensation est insuffisante.

Il est d’autant plus nécessaire de dégager l’avenir que rien ne nous prouve, bien que tout le monde soit d’accord pour ralentir aujourd’hui les constructions de lignes nouvelles, qu’il ne faudra pas à un moment donné nous lancer dans d’autres dépenses, soit qu’il y ait lieu de doubler beaucoup de voies actuelles ou d’en ouvrir d’autres, soit que des transformations radicales, du genre de celles auxquelles nous faisions allusion plus haut, obligent à de coûteuses modifications de l’outillage. Déjà aujourd’hui les compagnies, pour chaque nouveau million de revenu brut qu’elles obtiennent, sont obligées de dépenser un capital que les ingénieurs vont jusqu’à évaluer sur certains réseaux à cinq ou six millions, qu’on peut estimer à deux ou trois millions pour la moyenne de nos lignes. A un trafic plus intense correspondent en effet non seulement des dépenses de matériel et de personnel, mais des agrandissemens de gares, des poses de doubles voies, etc. Or ces frais doivent tous être amortis dans un délai qui devient d’autant plus court que nous nous rapprochons davantage du terme des concessions et qui rend le service de remboursement des obligations émises d’autant plus onéreux. Il est vrai qu’on ne

  1. Seule la compagnie de Lyon n’a pas encore commencé l’amortissement de ses actions. Ses statuts (art. 25) l’obligent à cet égard à constituer un fonds calculé de telle sorte que le capital social, représenté par les 800 000 actions, soit complètement amorti à raison de 500 francs par action cinq ans avant l’expiration de la concession; toutefois ledit prélèvement ne doit commencer qu’à partir de 1907.