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d’octroyer toutes les concessions qu’il lui plairait, fussent-elles parallèles aux directions actuelles. Il ne le fera pas, pour deux bonnes raisons : c’est que d’abord il aurait peine maintenant à trouver pour beaucoup de lignes des demandeurs qui offrent les garanties indispensables ; ensuite qu’il aggraverait dans une proportion incalculable ses engagemens financiers vis-à-vis des compagnies, s’il leur suscitait une concurrence de nature à faire baisser leurs recettes ; et la concurrence ne naîtrait que sur les parties du réseau qui, par l’abondance de leurs produits, permettent aux autres de vivre. Il ne faut jamais oublier que dans la plupart des industries de transport quelques artères seules sont véritablement rémunératrices, tandis qu’un grand nombre d’autres sont en déficit. Cela n’est pas seulement vrai des chemins de fer. La compagnie des Omnibus de Paris n’a de recettes supérieures aux dépenses que sur un petit nombre de parcours privilégiés : Madeleine-Bastille, Odéon-Batignolles, etc., grâce auxquels elle peut supporter les pertes que lui infligent nombre d’autres itinéraires. Les lignes de Paris-Lyon, de Paris-Rouen-Havre, permettent l’exploitation de milliers de kilomètres improductifs par eux-mêmes.

Cela est tellement vrai que si, renonçant à l’amour de l’égalité et de la symétrie qui est un des traits de notre esprit national, nous permettions aux chemins de fer d’élever légèrement leurs tarifs sur la moitié de leurs lignes, celles dont l’exploitation est le plus coûteuse, la garantie d’intérêt cesserait de jouer au même instant. Et point ne serait besoin pour cela de sortir des bornes tracées par les cahiers des charges. Si le gouvernement laissait aux compagnies la liberté de tarification dans ces limites, il n’en est probablement pas une qui ne renonçât à tout jamais au droit de réclamer la garantie. Nous ne recommandons certes pas cette solution : il est bon qu’une autorité centrale maintienne en harmonie les réseaux qui ne doivent pas agir indépendamment les uns des autres. Nous ayons simplement voulu rappeler de quel poids les pouvoirs de l’Etat ou son influence effective pèsent dans la balance.


VIII

L’organisation actuelle de nos chemins donne au public une grande partie des satisfactions qu’il est en droit d’exiger. L’action de l’Etat est assez puissante pour rassurer à cet égard ceux qui seraient tentés de croire que la féodalité financière, pour employer le vieux cliché, a des intérêts distincts de ceux de sa clientèle, c’est-à-dire de tous ceux qui pour leurs personnes ou leurs biens ont recours aux voies ferrées. L’exploitation directe par l’État